Cinquante Mozart à l’Académie

Une vingtaine d’apprentis violonistes, violoncellistes et pianistes forment la promotion Mozart, première de l’Académie musicale Philippe Jaroussky.

L’académie musicale fondée par Philippe Jaroussky, avec le soutien du Département, a reçu sous la coupole de La Seine Musicale les apprentis et les talents de sa première promotion. Une initiative exceptionnelle par sa double ambition, sociale et professionnelle, ainsi que par la forte visibilité que lui donne le contre-ténor.

Sous le patronage de Mozart, la première promotion de l’Académie musicale Philippe Jaroussky saisit la vie musicale à deux mains. L’une devine des contours qui nécessiteront un bel apprentissage ; l’autre donne au talent la dernière impulsion avant d’éclater au grand jour. Jeunes Apprentis d’un côté, Jeunes Talents de l’autre, la promotion se répartit entre la promesse et l’accomplissement, un peu comme si l’on écoutait Mozart des premières sonates pour violon et piano qu’il composait encore enfant jusqu’à La Flûte enchantée, chef d’œuvre profond, brillant et joyeux.

Vingt-deux Jeunes Apprentis

L’idée de cette académie musicale qui porte désormais son nom et à laquelle Philippe Jaroussky est particulièrement attaché tient beaucoup à son parcours personnel  : issu de la classe moyenne de banlieue, il n’est pas né dans une famille musicienne. « Si je n’avais pas eu au collège un professeur remarquable, je n’aurais peut-être jamais fait de musique de ma vie ! Il m’a repéré, il a conseillé à mes parents de m’inscrire dans un conservatoire et j’ai été aussitôt fasciné. J’éprouve désormais le besoin de redonner ce qui m’a été offert quand j’étais jeune. » Un début de belle histoire qu’il a souhaité recommencer avec les Jeunes Apprentis  : des enfants entre 7 et 12 ans, repérés par les acteurs du monde social et éducatif pour leur particulière sensibilité à la musique, même si la plupart – et leurs parents non plus – ne sont jamais entrés dans une salle de concert, et fredonnent plutôt Beyoncé que Schubert. Grâce au soutien de ses sponsors, l’académie propose aux vingt-deux enfants sélectionnés un enseignement totalement gratuit, puisque les instruments eux-mêmes leur sont prêtés.

« Ce que vous proposez avec cette académie est fondamental, soulignait Patrick Devedjian lors de la conférence de presse de rentrée  : ce n’est pas un jeu, ce n’est pas un plaisir, c’est être Socrate, révéler l’émotion qui est en chacun. Rien ne peut être plus important qu’un enseignement d’humanité, il n’existe pas de meilleure utilisation de l’argent public. »

Vingt-sept Jeunes Talents

Facebook a remplacé, dans le quotidien des étudiants musiciens, le tableau d’affichage aux papiers punaisés dressé dans les couloirs du conservatoire ou de l’université. Les candidats ont souvent appris l’existence de cette académie, alors en constitution, par un post sur le réseau social. Parce que tous suivaient la page de Philippe Jaroussky… S’il n’est pas forcément question de culte de la personnalité, il y a beaucoup d’amour – musical – pour cette personnalité hors norme, dont les qualités humaines transcendent les vertus vocales. Sans doute pareille aventure n’aurait-elle pas eu le même succès avec un autre musicien, moins charismatique.

Julie-Anne et Louis sont chanteurs, Léo et Vincent pianistes, Caroline et Jérémy violoncellistes, Brieuc et Camille violonistes  : ils et elles sont vingt-sept, ont entre 18 et 25 ans, et la parité de cette première génération de Mozart est à l’avantage des femmes. Tous déjà musiciens accomplis, en fin de cursus dans les conservatoires – dont les fameux nationaux de Paris et de Lyon – ou d’autres grandes institutions du monde musical européen  : l’un est passé par le Zürich Winterthur Konservatorium, l’autre par la Haute École des arts de Berne. Certains sont au seuil d’une carrière professionnelle, d’autres ont déjà entamé le parcours. La qualité instrumentale n’a pas suffi pour intégrer l’académie  : il a fallu ce supplément d’âme qui fait deviner l’artiste derrière le musicien, et cette ouverture d’esprit qui décuple les possibilités.

Clarisse, soprano, résumait ainsi l’admiration des heureux élus lors de la première soirée Jaroussky & Friends  : « Philippe Jaroussky a vraiment compris ce qui manque aux jeunes chanteurs et instrumentistes  : aujourd’hui, entre le conservatoire et la vie professionnelle, si on ne rencontre pas un agent ou un directeur de théâtre, on passe des années en errance. Et, lui, fait profiter les jeunes musiciens de sa visibilité, c’est un rêve ! » Sa personnalité met tout le monde d’accord  : quand l’une évoque à son propos « l’inspiration, la spiritualité et la générosité », l’autre insiste « sur sa renommée artistique exceptionnelle, avec une vraie présence, une véritable aura. » Et à écouter Anara, soprano d’origine kazakhe, on commence à comprendre ce mystère de l’art qui dépasse le divertissement pour devenir un souffle nécessaire  : « Philippe Jaroussky chante par nécessité, et nous aussi  : si on ne chante pas, on ne peut pas vivre… »

Séance de travail avec Philippe Jaroussky.
Des professeurs d’une même famille

Philippe Jaroussky a choisi pour animer son académie des partenaires, solistes, concertistes, chambristes, qu’il connaît bien et qui, chacun à sa manière, lui ressemblent  : Geneviève Laurenceau pour le violon, Christian-Pierre La Marca pour le violoncelle, David Kadouch pour le piano. Guides plutôt que professeurs, ces quatre mousquetaires-là n’aiment pas que leur passion puisse demeurer enfermée dans les habitudes ou les clichés. Et les étudiants de découvrir, derrière l’image publique d’un Philippe Jaroussky à l’allure toujours juvénile, un pédagogue exceptionnel, sachant manier l’humour le plus débridé pour obtenir ce qu’il souhaite des chanteurs  : le relâchement du corps, l’ouverture de la voix. Quand ne suffisent pas les plaisanteries sur les pouvoirs de séduction, mutuels et concurrents, de Don Giovanni et Zerlina, il y a l’arme absolue du fou rire  : « On trouve des solutions en enseignant  : un ronflement de cochon pour bien ouvrir le voile du palais, ça fait rire tout le monde, mais c’est efficace ! »

Une pédagogie plurielle et gourmande

Pour chacun des professeurs, sur une semaine et cela quatre fois dans l’année, les journées de cours alternent avec les master class en public. Un rythme exceptionnel à ce niveau. « Nous donnons en général des master class sous forme de stages, sur un week-end au mieux, souligne Christian-Pierre La Marca. Ici, nous les suivons sur un an, c’est une vraie promotion qui va se développer. Cela change tout  : quand on les écoute dans différents répertoires, on se rend compte des constantes, de leur empreinte, et l’on travaille plus efficacement. » Autre caractéristique de l’enseignement dispensé à l’académie version Jeunes Talents  : la pluridisciplinarité. Elle était désirée par de nombreux étudiants, la violoniste insistant sur son souhait de rencontrer des chanteurs, le pianiste recherchant des sessions de musique de chambre avec le violoncelliste. Elle transparaissait en filigrane dans les rêves de Philippe Jaroussky  : « Pianiste et violoniste de formation, je ne souhaitais pas une académie uniquement vocale. Je voulais que ces mondes se rencontrent ici un petit peu plus souvent qu’ailleurs. L’interaction s’est faite toute seule  : des instrumentistes sont venus me demander de les faire travailler, et ça marche ! Peut-être cela nous permettra-t-il de construire à quatre une conception commune. » Évidemment, les cours individuels, les séances de musique de chambre, et les master class déployées sans le moindre temps mort imposent aux musiciens de recevoir et d’intégrer une masse d’informations colossale. À chacun sa façon de gérer l’abondance – et parfois le trop-plein – avec ses propres mots  : graines plantées qui pousseront ou pas, clés à utiliser sur le long terme, voire véritable Noël, cadeaux et festin compris !

❝ Les étudiants sont venus dans cette académie parce qu’ils sentaient que l’ambiance serait belle, entre eux, entre nous. Nous faisons partie d’un projet commun. ❞
(Geneviève Laurenceau)

Une académie bienveillante

S’il fallait un mot pour nouer la boucle entre les Jeunes Apprentis et les Jeunes Talents de la promotion Mozart – qui se rencontrent déjà au gré de concerts impromptus – ce serait la bienveillance. Un mot qui est autant une manière d’être qu’une méthode pédagogique, résumées par Sébastien Leroux, directeur de l’académie  : « Les Jeunes Talents se sentent dans un environnement bienveillant, cela va au-delà de la question de la bonne ambiance. Alors que certains ont l’habitude de la compétition des concours internationaux, ils ont tous très vite compris qu’on était ici dans un esprit de collaboration. D’ailleurs, que ce soit les enfants ou les jeunes adultes, ce sont eux les meilleurs ambassadeurs de l’académie. Il suffit de les écouter pour se rendre compte qu’ils sont tout simplement contents d’être chez nous… »

En somme, l’âge d’or du professeur de musique amer armé de sa férule, comme celui d’un Toscanini terrorisant ses instrumentistes, semble, ici du moins, bien oxydé. Et qu’une initiative de cet ordre, qui bouscule les habitudes en osant briser les cadres convenus, sociaux comme géographiques, ait lieu à la Seine Musicale n’est pas étonnant. Pour certains même, qui connaissent bien l’aventure de la Philharmonie de Paris, faire rayonner cette nouvelle ruche musicale fut une motivation supplémentaire  : « C’est ici que cela se passe, et c’est le moment de le faire ! »