Archives par mot-clé : Peinture

La soie et les marées

Raphaëlle Pia Effilochages 12, 2010
Effilochages 12, 2010, acrylique sur toile, 38 x 55 cm

Les premières fois ont de l’importance, chacun sait. Dans le domaine des rencontres artistiques pas moins qu’ailleurs.

Je me souviens de ma première gourmandise de poème, de mon premier chavirage musical ; je me souviens, la première fois, les peintures de Raphaëlle Pia. En bord de Seine, La Bonne Heure, les eaux salées de la baie de Somme ruisselant sur les toiles – il y avait d’ailleurs aux murs quelques Rives et Effilochages retrouvés ici, compagnons d’avancée d’une peinture qui se déploie, vagabonde, d’inventions en surprises. « Les pigments comme le sel cristallisé dans le creux du sable, là où les pas ont passé, à la lisière de la marée quand elle s’évapore sous la lumière. C’est une drôle de peinture du presque rien, le velouté d’une matière absente. »

Assis sous le grand Sables 3, des étudiants américains discutaient d’amour et d’avenir, rarement peinture n’avait autant palpité.

Les fois suivantes aussi, sinon il n’y a ni mémoire, ni retrouvailles.

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Rives et rivages

Le musée d’art et d’histoire de Meudon présente une quarantaine d’huiles et de dessins de Jean Laronze.

Baigneuses sur la plage, huile sur bois, 19 x 27 cm
Baigneuses sur la plage, huile sur bois, 19 x 27 cm.

Jean Laronze n’appartient pas à l’élite intouchable des inventeurs de l’art du XXe siècle… Mais n’être pas Cézanne, Monet, ni Matisse n’interdit pas le talent. Le talent si particulier de cette peinture de paysage en France que l’on aimerait qualifier de « force tranquille » – si l’expression n’avait été définitivement vidée de son sens par les publicitaires. Au sujet de Laronze, on irait plutôt jouer avec les mots de Baudelaire : le luxe des lumières, le calme des compositions, la volupté des nuances…

Né en Saône-et-Loire en 1852, Jean Laronze est bourguignon depuis toujours et c’est sans doute la mémoire généalogique des lieux qui vient donner à ses paysages ce vrai goût de terroir. Il est aussi un peu d’Île-de-France puisque, jusqu’à sa mort en 1937 et après une vie déchirée par les malheurs familiaux, il partageait ses palettes entre l’atelier de Bourgogne et l’atelier de Neuilly-sur-Seine. Quand il n’allait pas sur les rivages de Berck ioder ses couleurs et aérer sa touche.

Cette exposition1 sera pour beaucoup une découverte ; quelques toiles sont d’ailleurs présentées pour la première fois. On y entend la petite musique du peintre – plus Saint-Saëns ou Fauré que Debussy ou Ravel – qui est aussi celle d’une certaine poésie de la nature.


Paru dans HDS.mag n° 38, novembre-décembre 2014.


  1. Musée d’art et d’histoire de Meudon, jusqu’au 14 décembre 2014, en partenariat avec Les Amis du paysage français et avec l’étroite collaboration de Marc Guillaume, arrière-petit-fils du peintre 

Points de vibration

Séquence III, fusain sur papier, 240 x 114 cm, 2013
Séquence III, fusain sur papier, 240 x 114 cm, 2013

Voici un voyage gratuit qui mérite comme on dit le détour1. Car pour une fois, parler de l’univers du peintre Marie Lepetit n’est pas une facilité de langage : l’œuvre de cette artiste patiente, discrète et rayonnante, évoque assez le domaine des galaxies, des nébuleuses et de la matière noire. À moins que ce ne soit, de l’autre côté de l’abîme, celui des atomes, des ondes et des particules… Un univers micro ou macro-artistique dont elle explore et développe la carte et le territoire avec les plus simples des outils, à la manière un peu des architectes-bâtisseurs de jadis : des équerres et des gommes, des craies et des crayons, des lignes et des points. Le long de lignes éphémères et apparemment aléatoires tracées sur la surface, elle repère des intersections qu’elle marque à la mine de plomb, à la peinture ou au poinçon. Une fois les lignes effacées ou presque, se constituent ainsi, à mesure d’une certaine agglutination du regard, des zones denses et des espaces de vertige, du poids et des déséquilibres, des mouvements figés et des échappatoires pour l’imagination.

Marie Lepetit est artiste, elle n’illustre ni la relativité générale ni la mécanique quantique ; mais en nous livrant les espaces infinis de son univers intérieur, elle a vite fait de nous basculer vers d’autres dimensions picturales, voire de nous envoyer dans les supercordes…


Paru dans HDS.mag n° 38, novembre-décembre 2014.


  1. Centre culturel Max-Juclier de Villeneuve-la-Garenne jusqu’au 23 novembre 2014 

Yves Calmejane, le peintre du dehors

Calméjane
La coulée dorée, huile sur toile, 73 x 60 cm (Auvergne, octobre 2013)

On disait autrefois des peintres qui prenaient le chemin, dressaient le chevalet dans le caillou et bataillaient à la brosse avec l’infini du paysage, qu’ils peignaient sur le motif. Et la formule déjà suggérait qu’il s’agit d’un prétexte ou d’une invitation à peindre non le paysage – quelle ambition ! – mais un tableau de paysage.

Peintre sur le motif, peintre in situ si l’on se réfère à la géographie, peintre de chevalet si l’on en vient au matériel : Yves Calméjane est tout ça ; mieux, c’est un peintre du dehors.

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Les bonheurs de la bonne heure

Sables 3, 2010, acrylique sur toile, 100 x 100 cm
Sables 3, 2010, acrylique sur toile, 100 x 100 cm

Une peinture de l’accident, de la trace, du matériau et de l’imaginaire, une peinture à la fois fenêtre ouverte et surface peinte.

Peindre aujourd’hui n’est pas forcément ringard ni prise de tête ! Ce n’est pas nécessairement porter le deuil de tous les « ‑ismes » de l’histoire de l’art comme un boulet au pied, ni en revêtir les défroques défraîchies, ce n’est pas obligatoirement être post-moderne et peindre sur la peinture en train de se regarder peindre, ce n’est pas toujours se sentir obligé de choisir entre la figuration et l’abstraction.

Raphaëlle Pia est peintre, aujourd’hui, tout simplement. Avec une liberté et une émotion du genre de celles qui vous saisissent aux tripes devant, par exemple, un paysage – comme ces poètes zen qui parlaient de marcher dans le soleil rouge. Tout est mouvant chez elle, brouillé, fragile, on a l’impression que rien n’était contrôlable jusqu’à ce qu’un pli froissé, une couleur éclaboussée, une coulure qui se fige, deviennent quelque chose de beau, d’intense, d’envoûtant. Un univers en soi, d’une apparente simplicité alors que rien n’est difficile comme de maîtriser cette peinture qui se construit sur l’accident. Les tableaux exposés cet été-là1 nous emmènent dans la Baie de Somme – on y sent le vent salé, les sables mouillés, la lumière des oiseaux de mer. Ici, mais ce pourrait être ailleurs, Raphaëlle Pia nous propose, comme saisis « à la bonne heure », des séries de moments exacts – ce qui ne veut surtout pas dire parfaits ni figés. « Quand je parviens à restituer les moments que j’ai vécus, je m’agrandis, je m’allège, un « bonheur » intense m’envahit et j’aimerais le partager. »


Paru dans HDS.mag n° 19, septembre-octobre 2011.


  1. Raphaëlle Pia, La Bonne Heure, Espace Icare d’Issy-les-Moulineaux, septembre 2011