Archives par mot-clé : Photographie

Paysages carnivores

Paysage carnivore #4
Paysage carnivore #4

Mïrka Lugosi porte le nom du plus fantasque des Dracula du cinéma. Elle est elle-même née dans les Carpates… Coïncidence ou pas, son œuvre, qui va traverser l’année au Cube1, est à mi-chemin entre le royaume d’ici et celui de là-bas. Le là-bas de l’envers du décor, des espaces ambigus, de l’inquiétante étrangeté. Ses dernières photographies, prises lors d’une résidence au Pays Basque puis recomposées comme des peintures, observent le paysage comme un passage, la nature comme un engloutissement, l’exposition comme une dévoration. Explicitement, Mïrka Lugosi fait référence au Voyage sentimental à travers la France et l’Italie de Lawrence Sterne, lequel inventait au milieu du XVIIIe siècle l’excursion au delà des apparences. L’amateur de photographie contemporaine peut aussi penser aux morceaux de nature décomposés de Gregory Crewdson et, pour en revenir au cinéma de cauchemar, le cinéphile imaginatif au Blue Velvet de David Lynch. Bref, une fantastique exposition qui est aussi exposition fantastique.


Paru dans HDS.mag n° 38, novembre-décembre 2014.


  1. Le Cube, centre de création numérique, Issy-les-Moulineaux, jusqu’au 25 juillet 2015 

Histoires naturelles

La Maison des arts de Châtillon nous entraîne avec la photographe Magali Lambert dans un étrange voyage sur la frontière entre l’imaginaire et le réel.1

Eres una maravilla
Eres una maravilla

Beaucoup de photographies – somptueuses – présentées à la façon des boîtes à insectes des cabinets de curiosités : on y voit des ébouriffages de plumes dans une cage cadenassée, une machine à écrire notre nature intérieure sur une feuille d’arbre… Ou bien des reflets d’échappées belles dans des paysages verts. Quelques installations aussi, faites d’os et de figurines. L’univers de la jeune Magali Lambert est composé d’une multitude d’archipels dont la géographie nous échappe et qui sont pourtant intensément familiers. Qu’ils soient nocturnes ou voilés de lumière, ce sont nos mondes de l’autre côté. Et chaque œuvre est une tentation : celle de retrouver en nous ces merveilles magiques qui surgissent, évidentes, dans nos rêves et dont nous ne savons pas conserver l’enchantement une fois revenus au royaume décevant du réel ; celle parfois de se laisser entraîner dans certains de ces gouffres pour aller voir de l’autre côté si l’on y est.

Que le travail de cette « ouvrière du songe qui opère au grand jour » – pour reprendre une expression du très beau texte que Thibault Marthouret lui consacre – soit essentiellement constitué de photographies, art du vrai s’il en est, renforce le trouble. Jamais morbides, parfois dérangeantes, toujours excitantes, ces Histoires naturelles ouvrent une parenthèse mystérieuse qu’on n’a pas envie de refermer complètement.


Paru dans HDS.mag n° 38, novembre-décembre 2014.


  1. Magali Lambert, du 4 novembre au 7 décembre 2014 

France-Chine 50

Dans le cadre des manifestations culturelles célébrant les cinquante ans des relations diplomatiques entre la France et la Chine, le Cube1 présente le travail d’une artiste symbolique de la nouvelle modernité chinoise : Yi Zhou.

Unexpected Hero
Unexpected Hero

Née en 1978 à Shanghai, ayant vécu à Rome enfant, diplômée en sciences politiques et économiques à Londres et Paris, Yi Zhou a choisi la voie artistique sans renoncer à sa culture économique. Artiste multimédia, notamment virtuose de l’animation 3D, elle profite de l’ubiquité offerte par notre époque pour naviguer entre ses studios américains, européens et chinois. Familière des expositions d’art contemporain, elle est aussi directrice artistique pour des marques de couture et de joaillerie occidentales, ainsi que conseillère pour le YouTube et le Twitter chinois.

Dans son univers d’artiste multimédia, les frontières sont mouvantes. Il y a des ponts entre l’Occident et l’Orient, le luxe et le beau se servent l’un l’autre, les musiciens et les stars gravitent comme des électrons libres autour de son imaginaire : Air, Pharrel William, Charlotte Gainsbourg, Ennio Morricone ou Diane von Fürstenberg… Rompant définitivement avec la vieille image de l’artiste maudit, Yi Zhou – et au delà de toute question de style – pourrait évoquer une sorte d’Andy Warhol mondialisée, qui ne ferait aucune différence entre création et produit, réunissant autour d’elle un cercle de fidèles – galeristes pointus, membres de la jet set, intellos branchés et patrons cotés en bourse. Cette exposition est donc l’occasion d’ouvrir ce cercle à tous – ce qui constitue en soi un acte parfaitement « warholien ».


Paru dans HDS.mag n° 37, septembre-octobre 2014.


  1. Centre de création numérique, Issy-les-Moulineaux, du 27 septembre 2014 au 10 janvier 2015