Madonna della Grazzia – Ensemble Il Caravaggio
Camille Delaforge, clavecin et direction musicale
Anna Reinhold, mezzo-soprano – Guilhem Worms, baryton-basse
Dès l’ouverture, ce disque est un théâtre ! Si le timbre de basse corsé et lyrique de Guilhem Worms est attendu dans les pièces hautes en couleur, il pourra surprendre dans le Stabat Mater de Giovanni Felice Sances, déploration de mère dont on a coutume qu’elle soit chantée plus en demi-teintes. Mais pourquoi pas ? Quand de jeunes musiciens placent leur art sous le signe du Caravage, les ombres fumées et les lumières charnelles sont toutes bienvenues. Comme les contrastes dessinés autour de la figure de Marie, qui est celle de toutes les femmes, de toutes les mères, du répertoire le plus sacré aux airs traditionnels venus des Pouilles, de Naples ou des Abruzzes. Le XVIIe siècle des émotions mises en musique puise dans la mémoire des temps oubliés, le baroque y est tout à la fois l’ornementation de la prière médiévale et le prolongement de la chanson populaire sous d’autres perspectives. Rythmes et timbres lancent des brassées de fleurs sauvages pour adoucir l’indifférence glacée qui meurtrit la Ninfa du Lamento d’Antonio Brunelli. La tarentelle anonyme donnant son titre à l’album, Madonna della Grazia, éclabousse de lumière les notions de grâce et de bénédiction. Le disque s’achève sur un voisinage emblématique. La mezzo-soprano Anna Reinhold raconte qu’elle ne parvenait pas à rendre le grain du Canto delle lavandaie aussi brut que le souhaitait la cheffe Camille Delaforge, au point que c’est elle, claveciniste, qui a fini par l’enregistrer avec une gouaille qu’on n’entend qu’autour des lavoirs méditerranéens. Et c’est Anna Reinhold, doloriste juste comme il faut, qui sublime la Canzonetta spirituale sopra alla nanna, berceuse mystique et poignante de Tarquino Merula, composée sous la forme d’une chaconne : un envoûtement dont on a bien du mal à se défaire une fois le silence revenu.