Philippe Jaroussky : Une académie conçue comme le projet d’une vie

Portrait Philippe Jaroussky

Icône du chant baroque au concert comme à l’opéra, le contre-ténor a implanté son académie pépinière de talents au sein de La Seine Musicale. Entretien avec un artiste pédagogue qui a éprouvé le besoin d’offrir aux plus jeunes ce qu’il a lui même reçu.

Comment définir l’académie que vous fondez à La Seine Musicale ?

— Comme une structure pour faire découvrir et enseigner la musique, en premier lieu à des enfants. Le mot académie contient l’idée de souplesse, un peu à l’américaine  : un lieu très ouvert où tout est possible, des cours privés pour les enfants à des actions plus larges dans les écoles, les collèges.

Pourquoi vous êtes-vous lancé dans ce projet ?

— Mon parcours personnel y est pour beaucoup. Je ne suis pas né dans une famille de musiciens, je suis issu de la classe moyenne de banlieue, à Sartrouville dans les Yvelines. Si je n’avais pas eu un professeur de collège remarquable, qui au lieu de nous faire jouer de la flûte à bec nous faisait écouter de la musique et écrire des chansons, je n’aurais peut-être jamais fait de musique de ma vie  ! Il m’a repéré, il a conseillé à mes parents de m’inscrire dans un conservatoire et j’ai été aussitôt fasciné. J’avais 11 ans, j’ai commencé le violon, or si vous voulez devenir un excellent instrumentiste, il vaut mieux commencer plus tôt. Lorsque j’ai eu la chance de découvrir ma voix de contre-ténor à 17 ou 18 ans, j’avais enfin trouvé un domaine où je n’étais pas trop vieux  ! Après dix-huit ans de carrière, j’éprouve le besoin de redonner ce qui m’a été donné quand j’étais jeune. Quand on n’est pas d’un milieu musical, il est compliqué d’inciter un enfant de 6 ou 7 ans à commencer un instrument. Il y a donc plein de talents qui se perdent. Il existe beaucoup de programmes éducatifs autour du sport, mais les mêmes qualités peuvent être développées par la pratique d’un instrument de musique, et c’est très précieux pour un enfant, même s’il ne devient pas musicien plus tard.

À qui s’adresse cette académie ?

— Aux enfants avant le conservatoire, et aux jeunes adultes après. Par le relais des écoles, des associations, nous allons repérer de « jeunes apprentis », entre 7 et 10 ans, dans des milieux qui n’ont pas accès à la musique classique. La mixité sociale y est réduite et, effectivement, apprendre un instrument de manière sérieuse et soutenue coûte de l’argent. Nous proposerons donc un enseignement entièrement gratuit, avec prêt d’instrument, sur plusieurs années. En priorité, pour des enfants du département, repérés dans les ZEP par exemple. On a aussi prévu d’inclure sur ce programme quelques enfants de réfugiés, qui avaient commencé la musique chez eux et n’ont plus depuis la possibilité de le faire. Trois classes instrumentales – violon, violoncelle et piano – pour cette première promotion Mozart et pas de section de chant. Pour la bonne raison que nous aurons comme voisine la Maîtrise des Hauts-de-Seine, et que nous construirons des ponts entre nous. L’enseignement sera soutenu, deux cours par semaine, c’est le pari du projet  : motiver les enfants par la rapidité des progrès.

❝ Il existe beaucoup de programmes éducatifs autour du sport, mais les mêmes qualités peuvent être développées par la pratique d’un instrument de musique, et c’est très précieux pour un enfant, même s’il ne devient pas musicien plus tard. ❞

Le deuxième aspect de cette académie est d’accompagner dans leur parcours de futurs professionnels, entre 18 et 25 ans. Pour ces « jeunes talents », l’enseignement fonctionnera sous la forme de trois master class d’une semaine dans l’année, qui aboutiront à des concerts et nous imaginerons des liens avec Insula orchestra. Il y aura évidemment une master class de chant dont j’assurerai les cours. J’ai beaucoup réfléchi sur le métier et j’ai envie de transmettre aux jeunes professionnels l’envie de rester eux-mêmes. Chanter est très introspectif, on apprend à se connaître, à dire les choses comme on a envie de les dire, à être juste dans ses émotions et dans leur transmission vers le public. Ce qui n’est pas toujours facile, tant il y a de choses à apprendre et à prouver.

Vous avez 38 ans, c’est un projet qui arrive tôt dans votre carrière ?

— C’est un projet vertigineux, le projet d’une vie que j’imaginais réaliser en effet quelques années plus tard… Puis l’on m’a fait cette proposition d’intégrer La Seine Musicale  : pour une structure comme la nôtre, les conditions sont simplement luxueuses  ! Une très grande aventure donc, avec pour moi la responsabilité d’être très présent  : mon agenda est rempli jusqu’en 2019 mais j’ai déjà bloqué les périodes !

Pour découvrir la musique classique, quelle œuvre conseillerez-vous à un adolescent qui n’en écoute jamais ?

Le Sacre du printemps de Stravinsky  ! On sait à quel point c’est une œuvre révolutionnaire, à la fois moderne et tribale. C’est une entrée en matière extraordinaire. Ce n’est pas en lui faisant écouter La petite musique de nuit de Mozart que vous allez toucher un adolescent, mais avec des œuvres aussi fortes que le Sacre, une symphonie de Chostakovitch ou de Mahler, qui lui seront curieusement beaucoup plus accessibles. Il faut emmener les gens au concert  : nous vivons dans un monde très virtuel et nous avons besoin de concret, de vivant, d’humain.


Entretien réalisé en décembre 2016

Paru dans la revue Vallée de la Culture n° 14, hiver 2017