Les petits Mozart de Philippe Jaroussky

© OLIVIER RAVOIRE
Remise des instruments aux jeunes apprentis de la promotion Mozart en septembre 2017 à La Seine Musicale.

Implantée à La Seine Musicale avec le soutien du Département des Hauts-de-Seine, l’Académie musicale Philippe Jaroussky accueillait ses premiers élèves à la rentrée 2017. Découverte de la promotion Mozart, la première d’une initiative nouvelle pour offrir la musique à ceux qui n’y auraient autrement pas accès.

Jour de rentrée dans les coursives de la Seine Musicale, là où l’académie créée par le contre-ténor Philippe Jaroussky est, pour l’heure, hébergée par la Maîtrise des Hauts-de-Seine. Question jeunesse, ici, la cause est entendue  : sur les trois hectares et demi du navire à musique, nulle part ailleurs la moyenne d’âge n’est aussi faible. Un bon point pour la relève dans ce milieu de la musique classique qu’on dit vieillissant et peu diversifié. « La mixité sociale du public dans la salle passera par la mixité sociale dans les orchestres sur la scène, remarque Philippe Jaroussky. Effectivement, apprendre la musique de manière sérieuse et soutenue coûte de l’argent, il faut acheter les instruments, acheter les partitions, cela demande beaucoup d’engagement des parents, ce n’est pas permis à toutes les familles. Nous avons voulu cette académie d’abord comme un moyen de gommer le mieux possible les obstacles qui peuvent empêcher un talent d’émerger. » D’autant que ces talents potentiels peuvent demeurer invisibles quand ils ne baignent pas dans la « marmite », situation que Philippe Jaroussky a bien connue et qui aurait pu nous priver de sa voix exceptionnelle. « Je viens de la classe moyenne, en banlieue, et si je n’avais pas eu en 6e un professeur de collège qui avait conseillé à mes parents de m’inscrire dans un conservatoire, parce qu’il avait repéré en moi quelque chose, je n’aurais peut-être jamais fait de musique de ma vie ! J’éprouve désormais le besoin de redonner ce qui m’a été offert quand j’étais jeune. »

Apprentis Mozart

La première promotion de cette académie musicale est placée sous le parrainage, illustre et immédiat, de Mozart. Et divisée en deux classes d’âge et de savoir qui symbolisent, à chaque extrémité du chemin, ce que peut être le parcours des jeunes musiciens. Au premier pas, les Jeunes Apprentis, des enfants de 7 à 12 ans qui commencent ici leur formation. À la dernière enjambée, les Jeunes Talents, futurs professionnels de 18 à 25 ans qui, sous la conduite de musiciens virtuoses dont Philippe Jaroussky lui-même, vont approfondir leur projet musical avant de s’envoler sur les ailes des anges (voir page 2).

Qui sont ces jeunes enfants qui soudain déboulent dans le hall, accompagnés de leurs parents dont beaucoup ne sont jamais entrés dans une salle de concert classique ? Ils s’appellent Amine et Macéo, Nourhène et Mélanie, Carla et Yacine. Ils sont vingt-deux et vont apprendre à jouer du piano, du violon ou du violoncelle, pendant trois ans, deux par deux et à raison de deux heures de cours par semaine. Gratuitement. Réellement gratuitement puisque les instruments leur sont prêtés.

Amine a eu la révélation sur YouTube avec le duo croate 2Cellos  : « J’ai vu des fous au violoncelle, des rock stars, ça m’a donné envie ! » s’exclame-t-il avant de refaire un tour à fond au milieu des familles, professeurs et sponsors venus ce jour-là assister à la conférence de presse de rentrée. Pour son binôme Macéo, la musique n’est pas une terre étrangère  : le père compose en amateur du rap et du RnB, la mère a chanté en chorale et les deux avouent en riant qu’ils l’ont « pas mal nourri au jazz ! » Carla non plus ne baigne pas dans la musique classique, comme la plupart des enfants de cette génération qui connaît plutôt Kids United, Shakira et chante Despacito de Luis Fonci. « Elle est surtout dans le registre dessin animé, raconte sa grande sœur qui aujourd’hui l’accompagne. On fait des blind test sur les musiques de Disney… » Pour elle, ce sera le violon, depuis que sa mère lui a fait découvrir Sharon du groupe irlandais The Corrs. Quant à Nourhène, elle est l’une des plus jeunes  : à 6 ans, la future pianiste chante et s’accompagne déjà à la maison sur un petit clavier jouet. « Elle compose même des chansons ! C’est vraiment une chance d’avoir été recrutée », reconnaît sa mère qui, intéressée par la Seine Musicale comme salle de spectacle, n’imaginait pas que cela conduirait sa fille à intégrer l’Académie Jaroussky.

❝ La mixité sociale du public dans la salle passera par la mixité sociale dans les orchestres sur la scène. ❞ 

Certains des enfants ont été repérés par Céline Khabache, référente adulte au centre social de Boulogne-Billancourt, à deux pas d’ici. « Nous nous sommes naturellement inscrits dans une démarche de partenariat et d’ouverture avec les acteurs qui sont depuis longtemps sur le territoire, explique Sébastien Leroux, directeur de l’académie musicale. C’est une des clés du projet. Ils connaissent les enfants et les familles, ils ont pu chez eux déceler cette motivation, cette appétence pour la musique. Parmi la centaine de dossiers reçus, nous avons sélectionné les personnes qui n’avaient pas les moyens d’envoyer leurs enfants au conservatoire. Puis il fallait que les familles soient totalement impliquées dans le projet, et nous devions aussi évaluer l’intérêt personnel de l’enfant, vérifier qu’il était prêt à s’engager pour trois ans. »

Des équipes bienveillantes

Constituer une académie musicale ressemble un peu à la mise en place d’une équipe de sport de haut niveau, avec ses entraîneurs et ses cadres réunis autour de la même idée. L’une des trois professeurs de piano, Laurianne Corneille, pédagogue passionnée, le souligne  : « Quand j’ai rencontré l’ensemble de l’équipe, j’ai eu le sentiment incroyable que nous avions été recrutés autour de la même idée de bienveillance, qui est une notion très importante en pédagogie. Nous sommes tous sur la même longueur d’onde, dans la même passion de transmission et d’encouragement et cela entraîne aussitôt des retombées positives sur les enfants. On sent déjà chez eux, qui ont dû en quelque sorte se battre contre les habitudes pour intégrer l’académie, un appétit palpable. Notre rôle de professeur sera de le stimuler, le cultiver, le faire grandir. »

La remise des instruments aux enfants a provoqué les plus beaux sourires qu’on puisse imaginer sur des visages d’académiciens… Six violons, six violoncelles et dix pianos numériques – le projet n’intégrant pas l’extension des surfaces locatives pour y loger un piano demi-queue ! « Beaucoup d’enfants, c’était prévisible, voulaient faire du piano, et nous étions un peu inquiets de la répartition des sections, avoue Sébastien Leroux. Puis tout naturellement, certains ont décidé, sans que rien ne leur soit imposé, de se diriger vers les instruments à cordes. La prise en main du violon, le contact du corps avec le violoncelle ont été aussi importants que la rencontre avec les professeurs qui ont beaucoup fait pour mettre en évidence le caractère de chaque instrument. »

Un triangle vertueux

L’Académie musicale Philippe Jaroussky n’est pas la seule initiative, publique ou privée, destinée à conduire les enfants vers la pratique musicale. Mais c’est sans doute, aujourd’hui en France, la première à combiner l’excellence artistique avec un projet social affirmé. L’intitulé du projet Démos (dispositif d’éducation musicale et orchestrale à vocation sociale) dit bien des parentés. « Démos est un apprentissage par la collectivité, explique Élise Thibaut, violoniste à l’Orchestre de Paris, qui est professeur dans les deux structures. Le travail en première année se fait à l’oreille, ce qui est une très bonne approche, mais les enfants ont néanmoins besoin de rattrapage ensuite du point de vue solfège. Ici, le suivi est plus personnel, des liens artistiques et humains vont se créer sur le long terme avec chacun. » L’académie de la Seine Musicale ne concurrence pas non plus les conservatoires, au contraire  : le projet pédagogique souhaité par Philippe Jaroussky étant de parvenir à un niveau suffisamment élevé pour que les enfants puissent intégrer n’importe quel conservatoire à l’issue de leurs années d’apprentissage. Le choix de donner cours aux enfants deux fois une heure par semaine et en binôme modifie également les perspectives  : « On augmente la capacité des enfants à se déployer, précise Laurianne Corneille. À deux, ils apprennent l’écoute et le respect de l’autre, et s’entraident pour passer les difficultés. »

© OLIVIER RAVOIRE
Philippe Jaroussky
Une fraternité Jaroussky

À côtoyer ceux qui, à un titre ou un autre, interviennent au sein de l’académie, l’image de la ruche s’impose  : des enfants aux adultes, des enseignants aux encadrants, tous tendus vers la même volonté. Les musiciens se connaissent entre eux, beaucoup ont tissé des liens d’amitiés depuis des années avec l’initiateur du projet, qui s’y connaît comme personne en matière de chaleur humaine. Les parcours parfois se ressemblent à s’y méprendre. Comme celui de Jennifer Hardy, violoncelliste dans l’orchestre Les Siècles, qui, avec cette pointe d’accent anglais qui éclaire encore la voix rendue momentanément aphone par les heures de cours, avoue que c’est cette proximité de parcours qui l’a convaincue d’accepter un projet chronophage pour une musicienne d’orchestre mère de famille  : « J’ai tellement eu de chance moi-même de pouvoir faire de la musique ! Des professeurs m’ont guidé, mes parents ont pu me soutenir financièrement, je me suis dit  : je dois faire passer ça à d’autres, partager cette joie de jouer ! Hier, devant les enfants, j’ai pensé qu’ils allaient vivre la même chose que moi, se faire des amis pour toujours, se souder par l’expérience de la musique et en être très épanouis. C’est ce qui m’a émue hier, les premiers pas sur le chemin… »