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Counter Phrases

© THIERRY DE MEY

Nouvelle création de Counter Phrases, spectacle de correspondances entre musiques d’aujourd’hui et chorégraphies filmées1. Sous la direction de son directeur musical Laurent Cuniot, TM+ s’associe à l’Orchestre symphonique de Mulhouse et au trio de Ballaké Sissoko pour une aventure hors norme.

Les chorégraphies d’Anne Teresa De Keersmaeker sont une matière en mouvement, elles auscultent les échanges entre le geste des corps et celui des musiques. Counter Phrases, démarche commune entreprise en 2003 avec le compositeur et cinéaste Thierry De Mey, repose sur une petite révolution : inverser les rapports entre musique et danse, offrir aux compositeurs des chorégraphies silencieuses pour les inviter – à rebours de siècles de tradition occidentale – à « musiquer » la danse.

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  1. Counter Phrases, création 2016 à la Maison de la musique de Nanterre, les 5 et 6 février. Puis à la Philharmonie de Paris le 17 mai et à La Filature de Mulhouse le 24 juin 

En lumière sauvage, après


… cette totalité en ruine… (2014), En lumière sauvage (2015)  : deux pièces en miroir pour deux danseurs et trois percussionnistes1. Compositions de Pierre-Adrien Charpy, chorégraphie de Cécile Guye, avec le HOP!trio et la compagnie Boutabou.


En lumière sauvage

Ils sont deux sur le plateau, à danser le tonnerre dans les ténèbres, à danser la violence des tumultes et la sensualité des corps… Non, il ne faudrait pas commencer comme cela.

Plutôt : ils sont deux sur le plateau, eux les danseurs – elle et lui – et eux les percussionnistes – qui sont trois en plus ce qui finit par compliquer la chose… Deux ensembles ensemble à s’écouter, se regarder, se chercher se trouver se relâcher, à échanger des mouvements et des ruptures, à disparaître dans l’ombre pour mieux renvoyer l’autre dans la lumière. À prendre des coups, à frissonner sous la caresse.

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  1. Programme donné en création le 18 septembre 2015 au théâtre Comoedia d’Aubagne 

L’âme numérique

Cinématique, Adrien MondotDans le spectacle vivant, il y a des moments où le spectateur sent que quelque chose bascule, quelque chose de radicalement nouveau qui s’inventerait, là, sous ses yeux. Ces moments ne sont pas si nombreux et l’irruption dans le paysage de la compagnie AM/CB – Adrien Mondot et Claire Bardainne – en fait partie. Lui vient des arts du cirque, à la fois jongleur et informaticien ; elle est plasticienne et scénographe ; à eux deux, ils inventent de projet en projet un art étrange qui est bien d’aujourd’hui, où se mêlent l’impalpable des images et figures numériques et la réalité du mouvement des corps. Chez eux, on danse avec des écharpes de l’étoffe des rêves, on surfe sur des océans d’ondes, on sème des alphabets virevoltants comme d’autres des paillettes. Ce qui aurait pu apparaître comme simple prouesse technologique s’installe, grâce à l’imaginaire des deux artistes et à leur désir de ne jamais noyer le réel sous le virtuel. Alors que leur récente collaboration avec la compagnie Käfig de Mourad Merzouki, Pixel, est en tournée, on peut également voir ou revoir l’une des premières créations d’Adrien Mondot : Cinématique. Une partition chorégraphique pour un jongleur et une danseuse, où l’on nous invite à renouer avec notre part de rêve d’enfance et à bousculer les principes rationnels de nos existences modernes. Histoire d’aller voir un peu plus loin encore derrière l’horizon, il faut aller visiter l’exposition XYZT, les paysages abstraits, signée des mêmes créateurs1. Méfiez-vous, cette immersion rêveuse dans leur outremonde pourrait bien devenir addictive…


Paru dans HDS.mag n° 44, novembre-décembre 2015. 


  1. XYZT, les paysages abstraits, Palais de la Découverte jusqu’au 3 janvier 2016 

Électrons libres

Pixel, Mourad Merzouki (compagnie Käfig), Adrien Mondot / Claire BardainnePixel : on n’échappera désormais plus, dans les arts d’aujourd’hui, à ce petit mot qui traverse en électron libre l’imaginaire des créateurs, même les plus physiques. Et il n’y a pas plus physique que Mourad Merzouki, le chorégraphe de la compagnie Käfig, emblème du hip-hop contemporain, explorateur du mouvement des corps, remettant en jeu à chaque création ce qu’il sait de la danse, de ses cultures et de ses contraintes. Et voilà donc Pixel, création 2014, nouveau dialogue vertigineux et jubilatoire entre les corps des danseurs et l’espace impalpable d’Adrien Mondot et Claire Bardainne. Ce sont les mêmes qui signent les projections numériques du Grand fracas issu de rien de Pierre Guillois, création 2015. On se doutait bien qu’on n’avait pas fini de parler d’eux. Leurs univers sont prodigieux : ici, les mouvements sont sans limites, la matière diffuse, les dimensions innombrables, les lettres sont particules et la géométrie un rire de lumière. La « question » de l’art numérique ne se pose plus : en dialoguant avec la danse charnelle de Mourad Merzouki, il s’impose. Il ne lui manque plus que de baptiser sa propre muse : Pixel serait un bon choix.


Paru dans HDS.mag n° 39, janvier-février 2015. 

Abou Lagraa

On l’avait découvert en 2000 à Suresnes Cités Danse, fusionnant la danse contemporaine et le hip-hop. Il revient dans les Hauts-de-Seine pour une résidence au long cours aux Gémeaux à Sceaux. Portrait d’un danseur chorégraphe, gourmand d’art, de musiques et de rencontres.

Portrait AbouLagraa« Lorsque j’invite le public aux répétitions, lorsque je dialogue avec lui après un spectacle, c’est pour qu’il puisse suivre en direct le travail de création et pas seulement s’asseoir dans un fauteuil, applaudir ou pas, et repartir. Pour créer un vrai lien qui ne soit pas seulement un lien de consommation. On sent immédiatement alors quand les choses sont justes et quand elles ne le sont pas. »

On croise toujours Abou Lagraa entre deux voyages. Cette fois, quelque part, dans un café de quartier hors d’âge. Il y a demain l’anniversaire de Monsieur Marcel, Monsieur Jean qui n’est pas là et dont on s’inquiète, Madame Filippi qui se chargera du paquet livré pour sa voisine… Une ambiance à la Klapisch qui semble ravir Abou Lagraa – bientôt trente-huit ans, veste noire et bagage à roulettes, la silhouette affûtée par les répétitions forcenées. Qui confesse goûter avec gourmandise le contact avec les autres. Un appétit transmis par ses parents, Algériens dans la ville d’Annonay (Ardèche, vingt mille habitants) : « Des gens d’une grande finesse, qu’on respecte, qui savent être, qui savent accueillir. Je les ai beaucoup observés… » C’est là-bas, entre la place du marché, les vieilles pierres et la campagne tout de suite à portée d’escapade que naît à seize ans le désir de danse. Une amie l’emmène assister à son cours de danse-jazz et c’est la révélation : « Ça m’a parlé tout de suite, j’avais envie de trépigner ! J’ai commencé le lendemain et, à la fin du cours, j’ai déclaré très naïvement à la prof que je voulais devenir danseur… »

Viendront ensuite le sprint long du travail et des efforts – il n’y a pas de temps à perdre quand on commence tard –, l’apprentissage acharné d’un art et de ses techniques, et l’enchaînement des bonnes fortunes. Le conservatoire national de Région de Lyon, suivi d’une audition miraculeuse au conservatoire national supérieur de Paris : dix candidats retenus sur trois cents… « Le choc ! J’ai dû tout apprendre en cinq ou six ans : la technique, la discipline, ce que c’est que le travail de danseur, ce que c’est que la danse – je n’en connaissais que ce qu’on fait dans les clips… » Étudier le classique et sa rigueur : « Je trouvais ça insupportable au début » et, révélation dans la révélation, la danse contemporaine. « Tout d’un coup, je rencontrais une danse qui permettait d’être soi-même avec une liberté qui m’a tout de suite séduit, dans ce monde de la danse très codifié, qu’il s’agisse de jazz, de classique ou de hip-hop. Une danse de l’émotion avant tout et de l’énergie. Une danse d’aujourd’hui qui est aussi une danse virtuose. »

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