Cinquante Mozart à l’Académie

Philippe Jaroussky

Personnalité solaire, musicien à la voix rare et à l’impressionnante présence scénique, Philippe Jaroussky conserve, malgré son statut de star internationale, la gentillesse et l’enthousiasme du jeune chanteur qui faisait ses débuts il y a une vingtaine d’années.

Cette première semaine avec les Jeunes Talents ressemble-t-elle à ce que vous imaginiez ?

Nous sommes dans une espèce de folie ambiante, à maintenir un tel niveau d’énergie autour de ces jeunes, c’est un peu addictif ! C’est pour cela que j’ai voulu m’entourer de jeunes professeurs, parce que nous avons encore une certaine fraîcheur. Là, on les matraque, parce qu’on a une multitude d’idées, ils en ont pris plein le cerveau ! Nous allons peut-être aiguiser la façon de donner des conseils dans les prochaines sessions. C’est l’intérêt de pouvoir les suivre un an  : avoir le temps de leur dire des choses et de les dire autrement.

Vous leur parlez beaucoup de relâchement et de solidité… Les secrets de l’interprétation ?

Libérer la respiration et assurer une certaine forme de solidité, c’est à la fois un travail psychologique et un travail sur le corps. Commencer une jeune carrière est traumatisant. Parce que si vous n’êtes pas solide sur ce que vous avez vraiment envie de faire, d’un point de vue technique et musical, vous commencez à avoir des tics… Les moments où vous n’avez pas de son, vous allez faire croire que c’est exprès. Vous ne faites pas la nuance que vous voudriez, vous devenez malheureux, et ça s’enkyste année après année. Nous avons choisi beaucoup de jeunes qui ont entre 18 et 22 ans, certains sont peut-être encore un peu « verts », parce que je n’avais pas envie de les laisser dans la nature deux ans de plus. Ce n’est pas de la prétention  : c’est seulement parce que cela m’a sauvé ! J’ai eu des moments difficiles  ; pendant de nombreuses années, j’ai été patient, j’ai continué à beaucoup travailler. Moi, à leur âge, je ne croyais pas ce qu’on me disait, je pensais que ça marcherait, même sans… Eh bien non, ça ne marche pas sans ! J’ai eu la chance de recevoir un enseignement qui a développé chez moi une vraie méthode pour permettre au son d’être solide sans tension, avec une juste énergie. C’est cela que nous allons développer ici, cela que j’ai envie de transmettre de façon très concrète.

❝ L’interprétation, c’est oublier que l’on joue du Chostakovitch, du Brahms ou du Schubert, c’est parler au public, lui raconter une histoire. ❞

Leur passion est impressionnante…

Cela me fait plaisir de sentir combien ils sont tous attentifs, réactifs. C’est toujours une claque pour nous  : cela nous renvoie à nos jeunes années, quand on voulait à tout prix faire de la musique mais qu’on ne savait pas encore qu’on allait y parvenir. Comment ces jeunes d’à peine 20 ans jouent déjà du piano, du violoncelle, du violon ! Ils vibrent, c’est passionné ! Il faut utiliser, à bon escient, ce feu intérieur qui dévore. Le nourrir et le contrôler, lâcher parfois, mais construire aussi. On parle de vie, là, presque de souffle vital.


Paru dans la revue Vallée de la Culture n° 16, hiver 2017–2018
Photographies © Olivier Ravoire