Un Beethoven pour aujourd’hui

© MARIE GUILLOUX
Pastoral for the Planet  : Beethoven mis en scène par La Fura dels Baus.

Le spectacle Pastoral for the Planet, avec Insula orchestra et Sophie Karthäuser mis en scène par La Fura dels Baus, dessine à la manière d’un conte fantastique les plans et reliefs d’un monde qui nous est, hélas, devenu familier.

Un baobab qui s’étiole et finit par être coupé, l’air pur, l’eau potable, les terres fertiles qui se raréfient, des hommes et des femmes qui s’enfuient  : les images proposées par le metteur en scène Carlus Padrissa et le graphiste Mihael Milunović, autour des musiques choisies par Laurence Equilbey, sont inattendues. Comme si le début du XIXe siècle venait soudain nous raconter l’actualité. Insula orchestra et la soprano Sophie Karthäuser sont sur scène, enrôlés au milieu du chaos et des lumières.

Cela commence par une allusion grinçante  : un extrait des Créatures de Prométhée (1801) de Beethoven, afin de rappeler que l’homme est bien le responsable de cette histoire qui menace de mal finir. La première turbulence majeure, écho de l’exploitation intensive des ressources naturelles, intervient avec l’orage spectaculaire composé par Anton Reicha, contemporain de Beethoven, pour son opéra Lenore (1806). La fonte des glaciers et la montée des eaux emportent les figures mythologiques de Hero und Leander, d’abord dans l’Ouverture (1841) de Julius Rietz, puis dans la Scène dramatique (1831) de Fanny Hensel-Mendelssohn, la sœur de Felix. Dévastatrice, la guerre est au centre de la musique de bataille, redoutablement efficace, extraite de Kampf und Sieg (« Bataille et Victoire », 1815) de Carl Maria von Weber. Tandis que le drame des migrations climatiques repose sur le motif poignant de l’Allegretto de la Septième Symphonie (1813) de Beethoven – un choix de cœur de Carlus Padrissa.

© JULIEN BENHAMOU

Pour décourageante qu’elle soit, la réalité mise en scène ne concourt cependant pas dans la catégorie du spectacle dépressif de la saison ! Au contraire, puisque Beethoven et sa Sixième Symphonie sauvent le monde – du moins peut-on l’espérer… Carlus Padrissa  : « La vie fonctionne en cycles, pas de manière linéaire. Le recyclage, compris comme le retour aux cycles naturels des matériaux, est essentiel au maintien des ressources et donc au fonctionnement des processus. À la fin, le baobab reconstruit fleurit à nouveau ! » Cette énergie – le fameux orage du quatrième mouvement est traité à la façon des expériences électriques révolutionnaires qu’entreprendra Nikola Tesla – est celle d’un homme encore jeune. Ludwig van Beethoven a 35 ans quand il commence à composer sa symphonie, 38 ans quand il la crée le 22 décembre 1808 à Vienne, au cours d’un concert-fleuve. Son masque mortuaire et les sculptures d’Antoine Bourdelle ont fini par estomper la silhouette du jeune lion, le compositeur à l’inspiration héroïque, le romantique aspirant à la liberté et à la fraternité universelle – au point de biffer rageusement sur la partition de la Troisième Symphonie la dédicace à Bonaparte quand le Premier Consul, incarnation des idéaux de la Révolution française, se fait couronner Empereur ! Les compositions tardives, encore sidérantes de modernité pour un mélomane d’aujourd’hui, suggèrent un génie retiré du monde dans la souffrance. Or Beethoven ne détestait pas la compagnie et, en mourant à 56 ans, il n’a pas eu le temps d’être vieux. Si l’interprétation de certains chefs en a fait le père de Gustav Mahler, il est, avant tout, le fils de Joseph Haydn. Quant à son rapport à la nature, il est certes permanent, essentiel, mais jamais descriptif. Les promenades dans la campagne viennoise – et le vin qui en étanchait la soif ensuite – sont à l’origine de la Pastorale comme des tout derniers quatuors, pourtant redoutés pour leur soi-disant abstraction. Jamais de premier degré chez Beethoven, qui l’écrit en sous-titre de la partition d’orchestre  : « Souvenir de la vie à la campagne (plus expression des émotions que peinture de paysage) ». Les légendes et les chromos ne doivent pas nous tromper sur l’essence transcendante et spirituelle de sa musique. Tout devient alors possible, même une Pastorale pour les temps d’aujourd’hui.


Spectacle créé au Grand Théâtre d’Aix-en-Provence puis repris à La Seine Musicale à Boulogne-Billancourt en février 2020.