Jean-François Zygel

Pianiste, compositeur, improvisateur, il est artiste associé à La Seine Musicale pour la saison 2021–2022, où il donne une série de Samedis Zygel bien dans sa manière  : inclassable !

Rencontrer Jean-François Zygel à la terrasse d’un café où, affable et disert, il consommerait du thé, serait passer à côté de l’autre Zygel, professionnel de la musique, de la scène et des médias, minutieux à la limite de l’obsessionnel. Un personnage qu’il laisse d’ailleurs entrevoir sans dissimulation à l’occasion, par exemple, du point technique précédant l’un de ses très nombreux concerts.

Docteur Jean-François et Mister Zygel

« Je fais une bonne centaine de concerts par an, avec l’angoisse du cycliste  : si le mouvement s’arrête, on tombe ! Certains de mes collègues, pourtant très détendus dans la vie, ont le trac sur scène  : moi c’est l’inverse, la vie me donne le trac, la scène m’en libère. » Et pour que la musique puisse se libérer le moment venu, rien ne doit auparavant se soustraire à sa vigilance, ni la position millimétrique des pianos sur la scène, ni l’enchaînement chromatique des ambiances lumineuses. « J’adore ce qui se passe sur une scène  : dans la vie, tout vous échappe, la scène est un des rares endroits que l’on peut maîtriser. En fait, la scène, c’est le monde tel qu’on voudrait qu’il soit, tel qu’on peut le contrôler, tel qu’on peut le décider. » D’autant que Jean-François Zygel a, dans tous les domaines qu’il aborde, la main verte  : « Je suis comme un jardinier qui fait pousser toutes sortes de fleurs dans son jardin. Mais mes fleurs à moi se nomment solos, duos, ciné-concerts, nuits d’improvisation, concerts avec chœur, concerts avec orchestre, concerts avec vidéo et avec électro, concerts dansés, concerts-lumières, concerts projetés… Je fais pousser toutes mes fleurs en même temps ! »

La musique sans partition

Si l’on se concentre sur l’essence des soirées qu’il propose cette saison à La Seine Musicale, on y respire les senteurs mêlées du répertoire et de l’improvisation, du jazz et du classique, de la musique et de la parole. « Je suis un petit peu à part dans le paysage classique. J’essaie d’inventer de nouvelles formes de concert, et souvent ces concerts sont pensés comme des spectacles  : des “constacles”, si vous me permettez ce mot-valise ! J’imagine le concert comme un chemin, avec un début et une fin, comme un rêve éveillé où se croisent volontiers l’improvisation, le répertoire et la parole, voire l’image, la poésie et le théâtre. » Pas besoin d’être érudit pour apprécier ces soirées  : « Les gens nous disent avoir passé deux heures magiques avec nous, commente son complice André Manoukian, alors qu’il n’y a pas eu la moindre répétition ! Jean-François a vraiment le sens de la composition, de la construction, donc on ne s’ennuie jamais. J’ai fait l’exercice du duo d’improvisation avec des jazzmen, et c’est beaucoup moins bien  : les gars sont trop “bavards”… » À l’automne 2021, ce sera Ibrahim Maalouf qui tiendra le rôle du duelliste partenaire, avec qui Jean-François Zygel a d’ailleurs signé l’identité sonore de la nouvelle saison de La Seine Musicale.

Concerts spectacles

Ses « constacles » à La Seine Musicale reposent beaucoup sur des souvenirs d’enfance – on se gardera bien d’en tirer des conclusions quant à sa filiation, un père psychanalyste amateur de classique et une mère plutôt versée dans la grande chanson française. Mon Mozart à moi est un concert fantaisie dont l’idée remonte à un film projeté en classe au jeune Jean-François qui revient déclarer fièrement à ses parents  : « Plus tard, comme métier, je ferai Mozart ! » Un savoureux mélange de conversation et de musique  : « En concert, j’aime bien parler. Pourquoi un concert classique serait-il forcément muet ? Cela repose l’oreille entre deux morceaux… Et puis cela crée un lien très précieux avec le public  : je suis dans sa tête, il est dans ma tête. » Quant au Requiem imaginaire, là encore nourri d’un fantasme d’enfant, c’est la mise en scène de ses propres funérailles… Un voyage commenté d’outre-tombe, avec beaucoup de facéties – mais chacun sait qu’elles sont une pudeur – à travers cinq siècles d’histoire, cinq langues et cinq religions. Devine-t-on chez lui une part secrète de mélancolie ? La question lui inspire l’une des formules qu’il affectionne et dont il soigne la forme au point de préférer, en l’espèce, l’écriture réfléchie à l’improvisation verbale  : « Il n’y a pas de musique triste, il y a de la musique consolatrice. Ce qui nous afflige dans la vie nous élève dans l’art. »


Paru dans le magazine HDS.mag n° 73, novembre-décembre 2020