Archives de catégorie : Papiers

Ibrahim Maalouf

À La Défense Jazz festival 2013, le jeune trompettiste vient jouer en quintet ses dernières compositions : Wind, sur scène entre les tours, ça souffle !

© Denis Rouvre Je n’ai pas d’autre moyen d’expression fiable que la musique. Elle m’aide à trouver un certain équilibre entre l’intériorité et la jubilation. J’ai une envie extrêmement puissante de vivre, de faire des choses, de rencontrer du monde, de voyager, mais parallèlement, j’ai une conscience très forte et absolue de la fragilité de nos vies et de nos êtres. C’est cette ambiguïté qui nourrit ma musique.”

Secret, Ibrahim Maalouf ? Oui, sans doute. Mais affable aussi, disert quand le sujet le passionne, pas ennemi à l’occasion de l’humour pince-sans-rire. Bref, un homme complexe. Et un musicien d’une singulière générosité. À trente-deux ans, le compositeur-trompettiste, premier prix du Conservatoire de Paris, lauréat de concours internationaux, enchaîne les collaborations. On pourrait en faire une litanie façon Vincent Delerm, avec qui il a d’ailleurs beaucoup travaillé. Au hasard des préférences de chacun : Lhasa de Sela, Bojan Z, Tigran Hamasyan, Oxmo Puccino, M, l’orchestre de chambre de Paris, Serge Teyssot-Gay, Sting, Amadou et Mariam…

Le point commun ? Cette trompette à quatre pistons qui lui permet de jouer les quarts de ton des musiques arabes traditionnelles – et des envolées contemporaines. « Comme si vous ajoutiez des touches supplémentaires entre les touches blanches et noires du piano. » Une invention de son père et mentor, Nassim Maalouf : « Cette trompette, c’est le fil conducteur, un vecteur de création formidable parce qu’il est unique. Forcément, cela stimule mon imaginaire. » Continuer la lecture de Ibrahim Maalouf

Le sirop de la rue

Balade d’émotion dans les rues de la banlieue ouest en compagnie de Patrick Pécherot, son Petit éloge des coins de rue1 à la main. Un vagabondage à suivre et à réinventer.

 

Patrick Pécherot à Courbevoie
Patrick Pécherot à Courbevoie

Le sirop de la rue… On ne l’entend plus beaucoup cette expression qui fleurissait le vocabulaire de nos grand-mères, à moitié sévères, à moitié envieuses devant cette liberté du dehors avec ses parfums et ses rencontres. Elle revient de temps en temps dans le verbe de Patrick Pécherot, qui lui trouve des airs de famille et le goût d’autrefois, du temps où les rues avaient une vraie odeur, chacune différente. Ces rues – les siennes tout autant que les nôtres – il les parcourt avec nous l’un de ces jours ordinaires où la vie fait son petit bonhomme de chemin, qu’on suit à la trace. On passera par Courbevoie, Puteaux, Suresnes, La Défense. Le Petit éloge des coins de rue traverse également Colombes, Gennevilliers, Nanterre… C’est une balade qui a sa propre musique, une ballade qui sonne modeste sur le bitume. « L’intérêt de ces rues est justement là : elles sont sans intérêt, elles n’ont pas de patrimoine fléché. Les lieux de vie déterminent pour partie la construction des individus. En retour, ces lieux sont façonnés par de multiples sources : l’urbanisme, les transports, le travail – et les personnes qui y vivent. C’est quelque chose avec quoi je joue depuis longtemps dans mes bouquins. Mais attention : il n’y a pas de nostalgie, de “c’était mieux avant !” Non. Les banlieues ont changé, heureusement. Parfois dans le bon sens, quelquefois sans qu’on demande leur avis aux habitants, mais ça… Ce qui compte, ce sont les évolutions. Mais il serait dommage que les lieux oublient leur mémoire. » 

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  1. Patrick Pécherot, Petit éloge des coins de rue, Gallimard Folio, 2012, 144 p. 

Vanessa Wagner, Études pour piano de Dusapin

© JB PELARDON

Dimanche matin, assis sur un gradin de l’amphithéâtre d’Arles, juste après le récital de Vanessa Wagner : les Études pour piano de Pascal Dusapin1.

Longtemps après encore, comme gorgé, engorgé de musique – le mot n’est pas très élégant mais c’est celui qui me vient en premier ; satiété, plénitude sont un peu pincés pour cette impression de gourmandise accomplie.

Une musique – composition et interprétation – d’espaces, de blocs et de mouvements, avec quelque chose parfois de ces rochers ronds immenses qu’on voit plantés dans la mer, quand l’eau y circule d’éclat en éclat. Une musique de grêle cascadant sur des ardoises glacées, qui fait sonner dans les basses une quelconque mémoire minérale.

Une musique de moments exacts, où l’oiseau est à fleur de navire sur l’horizon, tirant d’eau contre tirant d’aile.

Une musique de liberté, entre hasard et exploration : c’est bâti solide dans la matière sonore et soudain ça se délite et ça vibre dans ce qui n’est pas le silence, pas encore, ne l’est plus.

Une musique – écriture et jeu – qui va fouiller tellement loin dans les contrastes, ombre-lumière, frappe-résonance, ralenti-saccade, qu’elle en vient à faire bouger les lignes du temps. C’est une sensation tellement troublante, comme si l’on bousculait nos perspectives sur le réel – quelque chose de similaire se produit ainsi dans le dérèglement de l’implacable du temps à la fin de Faustus, the last night.

On revient du concert comme d’une navigation ou d’une randonnée : saturé, enrichi. Ce que l’on va chercher à retrouver en réécoutant l’enregistrement, et qu’on ne retrouvera pas, pas comme ça – mais on découvrira autre chose, comme sur les photos du compositeur, des lignes, des masses, des transparences et des grains2.

Au retour d’un concert, il n’y a pas tellement d’occasions pour l’auditeur de rendre un petit morceau d’émotion au compositeur et à l’interprète. En voilà donc des miettes, comme un remerciement éparpillé dans le vide.


  1. Chapelle du Méjan, Arles, le dimanche 30 septembre 2012 

  2. L’enregistrement des Études pour piano de Pascal Dusapin par Vanessa Wagner est accompagné d’un portfolio de photographies de Pascal Dusapin et d’un texte – comme toujours passionnant – de Michel Onfray : “une matérialisation de l’immatériel, une saisie pure de l’éphémère, un arrêt du temps…” [Musicales Actes Sud/Harmonia Mundi, 2012] 

Les mètres de l’espace et du temps

Le pavillon de Breteuil

Niché à Sèvres au cœur du parc de Saint-Cloud, le pavillon de Breteuil est le siège du Bureau international des poids et mesures (BIPM). Un site exceptionnel où l’on assure la cohérence internationale des unités de mesure.

Les missions du BIPM, créé par la Convention du Mètre signée à Paris en 1875, sont de conserver, d’améliorer, de diffuser et de coordonner le système international d’unités (SI). C’est-à-dire de travailler sur les définitions théoriques des unités de mesure et sur leurs représentations matérielles, ces étalons que le BIPM dissémine à travers le monde pour s’assurer que, partout, les mètres mesurent un mètre et les grammes pèsent un millième de kilogramme ! Dix-sept États signataires à l’origine, cinquante-cinq États membres aujourd’hui, une conférence générale qui se réunit tous les quatre ans environ : les enjeux autour des unités sont inimaginables pour le néophyte. Raison de plus pour aller y voir de plus près. Continuer la lecture de Les mètres de l’espace et du temps

Construis-moi un collège !

Collège Jacqueline-Auriol, Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine)
Collège Jacqueline-Auriol, Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine)

La construction des collèges est une des compétences essentielles d’un conseil général. Un domaine aux enjeux multiples dont on ne mesure pas toujours la complexité. Toutes les réponses ou presque à la question : comment construit-on un collège ?

Le collège a beaucoup changé… Pas seulement l’institution et ses programmes, mais le bâtiment lui-même. Beaucoup de parents se souviennent du lieu de leurs chères études, à cet âge adolescent où l’énergie est une façon de vivre et la liberté un mode d’emploi des limites… Cour centrale, galeries d’étage aux rambardes de fer, alignements infinis de portes closes : la nostalgie n’est pas forcément au rendez-vous… Le modèle architectural des autres siècles a vécu, même s’il a compté des joyaux qu’on aime encore visiter à l’occasion des journées du patrimoine. Partout aujourd’hui, le collège est à la fois un morceau d’architecture et une pièce d’urbanisme, un instrument éducatif et un lieu à vivre. Dans un département, il est aussi un élément essentiel de la culture : une écriture publique, un geste politique majeur.  Continuer la lecture de Construis-moi un collège  !