Archives de catégorie : Papiers

Yves Calmejane, le peintre du dehors

Calméjane
La coulée dorée, huile sur toile, 73 x 60 cm (Auvergne, octobre 2013)

On disait autrefois des peintres qui prenaient le chemin, dressaient le chevalet dans le caillou et bataillaient à la brosse avec l’infini du paysage, qu’ils peignaient sur le motif. Et la formule déjà suggérait qu’il s’agit d’un prétexte ou d’une invitation à peindre non le paysage – quelle ambition ! – mais un tableau de paysage.

Peintre sur le motif, peintre in situ si l’on se réfère à la géographie, peintre de chevalet si l’on en vient au matériel : Yves Calméjane est tout ça ; mieux, c’est un peintre du dehors.

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Du Lied aux Chants

Raphaële Kennedy et TM+
Raphaële Kennedy et TM+

Ensemble orchestral dédié à la musique contemporaine, TM+ est en résidence à la Maison de la musique de Nanterre depuis 1996. Il était en concert le vendredi 21 mars 2014 avec un bouleversant programme de musique d’hier et d’aujourd’hui.

Les concerts construits par Laurent Cuniot autour d’œuvres complémentaires mais très différentes sont une « marque de fabrique » de TM+. Ils tracent des routes inédites entre les compositeurs, ils ouvrent des perspectives nouvelles sur nos géographies intérieures. À leur écoute, on saisit ce que sont la virtuosité, la subtilité et l’engagement physique de musiciens au sommet, emmenés par un chef à la fois exact et lyrique. On ressent aussitôt l’envoûtement de ces musiques, pour peu qu’on accepte de faire tomber les barricades de l’habitude. Et l’on se dit, réunis dans une salle de concert, que c’est un privilège de se retrouver ensemble, à l’écoute de son temps.  Continuer la lecture de Du Lied aux Chants

Citoyenne insolente


Programme du concert :
Georges Aperghis : La nuit en tête (2000) pour soprano, flûte, clarinette, violon, violoncelle, piano et percussions. Alexandros Markeas : Trois clins d’œil rythmés (2006) pour clarinette et électronique. Thomas Adès : Catch (1991) pour clarinette, piano, violon et violoncelle. Laurent Cuniot : Prélude démesuré (2012) pour violon et clarinette. Alexandros Markeas : Citoyenne insolente (création 2014) pour soprano, flûte, clarinette, violon, violoncelle, piano et percussions.


La création n’est pas un long fleuve tranquille. Mais un confluent plutôt agité où se déversent, parfois venues du plus loin de notre histoire et parfois surgies d’on ne sait où, beaucoup d’audaces qui éclaboussent.

Une génération sépare Georges Aperghis et Alexandros Markeas. Grecs arrivés à Paris à 20 ans, engagés tous les deux dans le monde mais de façon différente, leur rencontre est un peu celle de celui qui croyait aux racines et celui qui n’y croyait pas…

La Nuit en tête de Georges Aperghis, ce sont des morceaux de nocturnes obsédants, une voix entêtante dans une partition de nuit où les micro-intervalles fusent comme des lueurs à peine saisissables. On y voyage dans le ténu, le babillement, la prolifération, quelque part où les choses sont aussi solides que des sables mouvants, aussi stables qu’un éclat de lune sur une eau noire.

Une nuit d’un autre genre tombe sur notre siècle, qui n’a plus beaucoup de sens et se cherche une voix. La Citoyenne insolente d’Alexandros Markeas s’appuie sur d’anciens héritages pour affronter debout l’avenir qu’on lui refuse et les nuits sans fin qu’on lui promet. Continuer la lecture de Citoyenne insolente

Festival Debussy-Fauré

© CATHERINE KOHLER


Orchestre symphonique de Mulhouse, Chœur des écoles de Mulhouse et des collèges du Haut-Rhin, Les Solistes de Lyon, Ingrid Perruche, Julie Perruche, Kevin Greenlaw, Jean-François Lapointe, Cédric Tiberghien, Bernard Lemmens : Festival Debussy-Fauré, + œuvres de Markeas, Chopin, Scriabine


Un festival Debussy-Fauré est une fête de la musique en clair-obscur, une célébration de la mélodie française et de ses saveurs sonores. Ici, pas d’envolées lyriques incontrôlées ni d’incantations furieuses, mais la mesure des choses musicales – ce qui n’exclut pas la passion – et le respect de la langue – ce qui n’interdit pas la vigueur.

D’autant que choisir Fauré comme compagnon de festival de Debussy – on a plus souvent l’habitude d’un duo avec Ravel – c’est envisager la modernité d’une oreille très subtile. Fauré et Debussy sont contemporains, on finirait par l’oublier : Claude est plus jeune mais Gabriel lui survivra quelques années. Ils ne s’appréciaient pas forcément beaucoup, partageaient peu d’élans – sinon parfois la même passion pour la même voix… Fauré serait comme un début d’incendie, le dernier des modernes du XIXe siècle, et Debussy le premier du suivant, un gué pour aller de pas en pas jusqu’à l’avant-garde. Les programmer ensemble, c’est aussi jouer avec les idées reçues. Nous faire entendre, dans le balancement des Barcarolles, comment Fauré annonce certaines musiques de demain, et combien Debussy, dans le miroitement de ses Préludes, doit à celles qui le précèdent.

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Requiems

© CATHERINE KOHLER


Orchestre symphonique de Mulhouse, Opéra studio de l’Opéra national du Rhin, Les Cris de Paris : György Ligeti, Lux aeternae, RamificationsRobert Schumann, Requiem für Mignon, NachtliedArvo Pärt, Silouans Song, Adam’s Lament.


Au début était le verbe, et sans doute peu après la musique… Requiem sans liturgie, prières universelles, trois compositeurs regardent la vie et la mort.

Pas de vocifération ni d’anathème chez Robert Schumann, mais une plainte très intérieure qui s’appuie sur la littérature, comme une nécessaire pudeur d’écorché vif.

Pas de croyance identifiée non plus chez György Ligeti : son recours au sacré est celui d’un siècle en recomposition, des horreurs des années passées aux bouleversements de celles à venir. Gravitation d’étoiles, matière noire et particules fragmentaires : cette moderne musique des sphères fait office de cantique quantique.

Avec Arvo Pärt, pas mal de révolutions sont passées, mais pas l’émotion. Immédiatement accessible, immédiatement bouleversante, la lamentation du premier homme est celle de tous ceux à suivre. Mêlant spiritualité médiévale, solennité orthodoxe et violence d’aujourd’hui, la musique d’Arvo Pärt est sans âge car elle les traverse tous.


Plaquette de l’Orchestre symphonique de Mulhouse, saison 2013–2014.