Yves Calmejane, le peintre du dehors

Calméjane
La coulée dorée, huile sur toile, 73 x 60 cm (Auvergne, octobre 2013)

On disait autrefois des peintres qui prenaient le chemin, dressaient le chevalet dans le caillou et bataillaient à la brosse avec l’infini du paysage, qu’ils peignaient sur le motif. Et la formule déjà suggérait qu’il s’agit d’un prétexte ou d’une invitation à peindre non le paysage – quelle ambition ! – mais un tableau de paysage.

Peintre sur le motif, peintre in situ si l’on se réfère à la géographie, peintre de chevalet si l’on en vient au matériel : Yves Calméjane est tout ça ; mieux, c’est un peintre du dehors.

Il a un peu d’ailleurs l’allure des glorieux ancêtres dont il reconnaît la filiation – à demi-mot seulement, on ne s’improvise pas faraud quand on est modeste. La silhouette trapue, le cheveu blanc et la barbe abondante lui donnent l’air bourru qui éloigne l’importun ; précaution rapidement démentie par l’étincelle du regard et l’humour des premiers mots.

Yves Calméjane est donc un peintre du dehors. Même si, les nuits du dedans et les jours de pluie, il travaille dans l’atelier des compositions abstraites nerveuses, comme l’expression d’un regard intérieur et le répertoire d’une sûreté de la main.

Un œil, forcément ; une main également. Et le talent rare de faire fonctionner les deux ensemble sans trop laisser de choses en route. Après tout, ses paysages sont des peintures, avant tout et malgré tout. Sans jamais imiter, elles emportent quelque chose de la vraie nature. L’œil et la main ne sont jamais sûrs vraiment de ce qui va se passer une fois décidées et tracées les premières lignes sur le tambour de la toile. Sinon qu’il n’y aura pas d’angles agressifs, jamais de blessure ouverte ni de puits de ténèbres. Et non plus de couleurs séductrices, ni vert de feu ni orange cru, mais l’infinie palette des gris colorés, ceux que nous saurions voir dans la nature si nous ouvrions les yeux au lieu de nous en remettre aux habitudes du vocabulaire.

Calméjane
Jardin des abandons, huile sur toile, 41 x 33 cm (Calvi, janvier 2011)

On pourrait penser que le premier travail du peintre du dehors, une fois chez lui – dans un vallon d’Auvergne, une rocaille du Var ou un hiver en Corse – serait de dominer cette nature, de la mettre à genoux pour la faire entrer dans le cadre. Et l’on se tromperait : il ne faut jamais penser à la place d’un peintre du dehors, lequel confesse avoir depuis longtemps abandonné cette prétention. Non, peindre, c’est se laisser emporter par l’immense impossible à représenter en tenant quand même un peu sa barque, naviguer avec soin entre l’abandon et la gouverne. Ce n’est pas tant le paysage qu’il cherche à peindre – ou plutôt si, mais par le filtre des émotions qui nous emportent quand nous sommes dedans. Ainsi, ce paysage, il n’aime jamais rien tant que le transformer, le synthétiser, le cristalliser, afin qu’il glisse vers ce qu’on appelle l’abstrait – et qui n’est rien d’autre que le vrai de la peinture, à hauteur d’homme, rapporté au vrai de la nature qui est hors de portée.

Et pour cela – qui n’arrive pas tous les jours avec le même bonheur – ne pas être gourmand de tout. La profusion, on ne s’en sortirait pas ! Mais choisir quoi, où et comment ; préférer le fragment, l’essence, la synthèse ; travailler en même temps l’espace du dehors et le feu intérieur.

Un tableau de Calméjane, ce sont des vignes au couchant, trois rangées, quelques ceps, une mousse de blé derrière, la houle de l’horizon, et nous voilà en pleine terre de vendange, ébouriffés de lumière rouge et de sensations. Ce sont les rondeurs bonheurs d’un paysage avec chevaux, et en trois ou quatre plans, la succession infinie des vallons et des forêts où coule la lumière dorée. Ici, une marée basse, du presque rien avec algues qui fait dire que le tableau n’est pas fini, comme ne sont jamais finis les espaces ouverts d’où la mer se retire. Là, l’esprit de la montagne corse en hiver, motif puissant, travaillé comme on monte une construction, avec des blocs, de la rigueur et de la pâte de lumière.

Le peintre du dehors se jauge à la juste mesure de son motif. Ce qui interdit la mièvrerie comme l’esbroufe. Mais n’exclut ni la générosité ni les enthousiasmes. Bon prince, Yves Calméjane y ajoute la politesse du bien-être.

Calméjane
Terre de vendange, 100 x 81 cm (Brue-Auriac, Var, novembre 2010)