Citoyenne insolente


Programme du concert :
Georges Aperghis : La nuit en tête (2000) pour soprano, flûte, clarinette, violon, violoncelle, piano et percussions. Alexandros Markeas : Trois clins d’œil rythmés (2006) pour clarinette et électronique. Thomas Adès : Catch (1991) pour clarinette, piano, violon et violoncelle. Laurent Cuniot : Prélude démesuré (2012) pour violon et clarinette. Alexandros Markeas : Citoyenne insolente (création 2014) pour soprano, flûte, clarinette, violon, violoncelle, piano et percussions.


La création n’est pas un long fleuve tranquille. Mais un confluent plutôt agité où se déversent, parfois venues du plus loin de notre histoire et parfois surgies d’on ne sait où, beaucoup d’audaces qui éclaboussent.

Une génération sépare Georges Aperghis et Alexandros Markeas. Grecs arrivés à Paris à 20 ans, engagés tous les deux dans le monde mais de façon différente, leur rencontre est un peu celle de celui qui croyait aux racines et celui qui n’y croyait pas…

La Nuit en tête de Georges Aperghis, ce sont des morceaux de nocturnes obsédants, une voix entêtante dans une partition de nuit où les micro-intervalles fusent comme des lueurs à peine saisissables. On y voyage dans le ténu, le babillement, la prolifération, quelque part où les choses sont aussi solides que des sables mouvants, aussi stables qu’un éclat de lune sur une eau noire.

Une nuit d’un autre genre tombe sur notre siècle, qui n’a plus beaucoup de sens et se cherche une voix. La Citoyenne insolente d’Alexandros Markeas s’appuie sur d’anciens héritages pour affronter debout l’avenir qu’on lui refuse et les nuits sans fin qu’on lui promet. La voix de la soprano s’élève à la façon d’une mélopée archaïque, le premier accord sonne comme un éclat de soleil sur une ville en cendres. De quoi surprendre l’oreille nonchalante, mais c’est exactement là que la musique dite contemporaine est essentielle : dans cette impression d’inouï qui coupe le souffle, réveillant une écoute que nos habitudes de consommation ont rendue paresseuse. Dans une fête musicale « excessive, étrange et burlesque », les mots se bousculent, depuis Aristophane jusqu’aux slogans des indignés d’aujourd’hui. L’œuvre brasse la mémoire de la Grèce antique, l’actualité des crises d’aujourd’hui, les mouvements de résistance du XXe siècle, les fantômes des migrants. Avec de la rage, des bouffées d’une histoire qu’on avait fini par oublier de ce côté-ci de la Méditerranée, et des sursauts d’humour aussi, parce le sérieux n’interdit jamais la jubilation. Bref, une illustration exemplaire de ce qu’est TM+, « ensemble à l’écoute de son temps »  : un orchestre dédié à la musique d’aujourd’hui qui cultive les filiations historiques et n’oublie jamais les liens avec le public.

La retenue n’est donc pas au programme : virtuosité du violon et de son ombre portée dans le Prélude démesuré, frénésie d’une clarinette qui ne sait plus sur quel pied danser entre le solo des Trois clins d’œil rythmés inspirés des danses populaires grecques et les drôles d’apartés façon théâtre de Catch de l’anglais Tomas Adès. Décidément, tout cela est bien trop sérieux pour qu’on laisse les choses tourner au drame.


Versions alternatives parues dans HDS.mag n° 34, mars-avril 2014
& dans la brochure TM+, saison 2013–2014.