Køuples, en deux temps trois mouvements

Køuples © CHRISTOPHE DELLIÈRE / OPERACT
« Nous avions envie de parler de la surconsommation, des années soixante et soixante-dix, de toute cette époque graphique, de la mode… Et de l’évolution du couple : la rencontre, la jeunesse, la fraîcheur, la crise de la quarantaine, enfin le couple vieillissant. Les personnages ne maîtrisent rien du tout, ce sont les choses qui les maîtrisent. » (Stephan Grögler, conception et mise en scène)

Køuples1spectacle conçu et mis en scène par Stephan Grögler, est une trilogie trépidante sur le cas du couple avec de l’eau – barrée – dans le gaz… Trois vaudevilles musicaux d’un autre siècle, ravivés par l’imagerie des sixties et des seventies diffusée sur écrans, rhabillés de costumes impossibles : robe jaune strident, pantalons pattes d’éph orange amer, rayures, col pelle à tarte et combinaisons métallisées…

Køuples, c’est Elle (Gaëlle Méchaly, soprano éclectique) et Lui (Ronan Debois, baryton conquérant), ils traversent les trois âges du couple, de l’amour passionné à la crise de la quarantaine, jusqu’à l’extinction des feux devant la télévision. Accompagnés, précédés, poussés dans leur retranchement par le piano irrésistible et les facéties travesties de Nicolas Farine. Spectacle chanté à la perfection dans l’esprit d’un opéra-bouffe survitaminé, Køuples serait un Feydeau sous hallucinogène, un vaudeville pop-art, une machinerie délirante remontée comme un coucou suisse. Aux trois compositions originales, révisées pour deux mains et quelques jingles, s’ajoutent les brefs interludes électroniques d’Alexandros Markeas, cerises musicales sur le gâteau de mariage.

Køuples © CHRISTOPHE DELLIÈRE / OPERACT
Gaëlle Méchaly, dans Le Téléphone. « Les sixties-seventies sont une époque super inspirante. Il y avait dans ces années-là une telle singularité créative alors qu’aujourd’hui, nous serions plutôt dans le recyclage permanent. » (Charles Carcopino, création vidéo) 
Premier mouvement : Le Téléphone, de Gian-Carlo Menotti

Les papiers peints fleurissent, fleurissent, ce doit être la fin de l’été… Orange, marron, violettes, les grandes fleurs vivent, palpitent, bourdonnent avec le couple sur scène, Elle au téléphone, Lui à la déclaration d’amour, ils s’agitent, futiles, agacés, amoureux. Projetées sur trois écrans de scène, les plantes y croissent et prolifèrent au gré de la passion naissante, Maya l’abeille butine jusqu’à ce que ce soit Lui qui les ait, les abeilles, des essaims d’abeilles à force de sonneries venues parasiter cette histoire d’amour qui commence. Le grand tournesol tourne comme le cadran de ce maudit téléphone qui ne veut rien savoir de ce que Lui aurait à dire si seulement Elle l’écoutait, au lieu de papoter sur la ligne.
Créée en 1947, à l’âge des pionniers des télécoms, cette comédie musicale n’a jamais sonné plus vraie qu’aujourd’hui, à l’âge du portable, du SMS, des réseaux sociaux. Aimer, ce n’est plus regarder ensemble dans la même direction, c’est plonger chacun dans l’écran de son smartphone…

Køuples © CHRISTOPHE DELLIÈRE / OPERACT
Ronan Debois et Gaëlle Méchaly, dans Aller-Retour : « On s’est rencontrés, on s’aime, on va se marier. Puis on évolue, on a la quarantaine, on commence à se lasser, à chercher ailleurs alors il me tue… Mais rien n’est définitif ! » 
Deuxième mouvement : Aller-Retour, de Paul Hindemith

Un micro-voyage dans le temps pour réparer l’irréparable. Dans une ambiance « futuriste vintage » entre Star Trek et Cosmos 1999, Elle et Lui se jalousent, se déchirent, bang ! il la tue puis se tue mais tout ça n’en vaut pas la peine. Alors, par la grâce d’un théâtre où rien, pas même la mort, n’est vraiment sérieux, ils déroulent à l’envers ce moment où tout aurait pu finir dans le sang comme un générique de James Bond. Sur les écrans, un vidéophone, un compte à rebours en diodes rouges, une pluie verte de codes à la Matrix : dans l’énergie solide et virtuose de la musique de Paul Hindemith, composée en 1927, Elle et Lui descendent et remontent le cours du drame jusqu’à l’épuisement, traversent aller-retour une crise de couple pour rien, sauvés in extremis par un Hare Krishna en combinaison spatiale… Vous avez dit psychédélique ?

Køuples © CHRISTOPHE DELLIÈRE / OPERACT
Le Secret de Suzanne, Ronan Debois, Gaëlle Méchaly, et le pianiste Nicolas Farine : « La musique est presque un personnage supplémentaire, théâtralisé. Je chante, je joue, je sers le thé, les chocolats, je fais le ménage… Je n’ai jamais eu autant à faire autre chose que de la musique sur une scène ! »
Troisième mouvement : Le secret de Suzanne, d’Ermanno Wolf-Ferrari

En conclusion de cette trilogie, Le secret de Suzanne, opéra parodique daté de 1909, est sans doute la plus étourdissante part de pudding de cette cuisine conjugale. Son secret à Elle, ce n’est pas l’amant que Lui croit deviner, mais le plaisir coupable de la cigarette. Les histoires d’amour finissent molles, sur une menthol… La télévision, le décor, leur vie même sont envahis par les publicités de naguère et les volutes de fumée interdites. Dans des quiproquos échevelés proprement stupéfiants : Monsieur Propre serait-il l’amant imaginaire ? Les corps sensuels de leur jeunesse perdue se parfument à l’Aqua Velva, les friandises Bounty seraient aujourd’hui étiquetées sexuellement explicites, l’aventure extra-conjugale roule des mécaniques comme le cow-boy Marlboro. L’amour est un caprice des dieux qui ne dure pas éternellement, le couple s’englue devant les écrans du télé-achat, contaminé par les postures de la réclame : Moulinex libère la femme, tu parles !


Production operAct & Jeune opéra compagnie
PHOTOS © CHRISTOPHE DELLIÈRE 


  1. Køuples, création les 24 et 25 novembre 2017 à la Maison de la musique de Nanterre