Dominique A, Éléor à Toulon

Dominique A en concert, 2015

Dominique A en quartet très rock au Théâtre Liberté de Toulon1, sur une setlist quasi parfaite, entre la manière des choses d’avant et la matière de celles d’aujourd’hui. Qui ferait un beau best of live

Quand on a que l’amour… Dominique A n’a sans doute pas que cela en partage – seulement, même lorsqu’il s’agit de sociologie, d’histoire ou de politique, chacune de ses chansons est aussi en filigrane une histoire d’amour. Or chacun sait depuis bien avant les Rita Mitsouko que les histoires d’amour finissent mal, en général comme en particulier, sinon ce ne sont pas des histoires. Et les histoires, c’est la matière de Dominique A, il en a autant que de musique dans sa carcasse de colosse ambigu chez qui le masculin et le féminin s’épousent jusque dans la voix et dans la gestuelle.

Ce ne sont pas toujours des histoires de cul – il y en a – ni toujours la carte du tendre – on s’y promène aussi. Pas seulement des histoires de couple – l’enfance et la famille aussi ont de l’amour à retordre, mais on a beau dire, ça tourne mal, à chaque fois ou presque. Amours inachevées, inabouties, qui ne se nouent pas ou bien au contraire s’enchevêtrent inextricables, à moins que ce ne soit le fil qui casse, amour finissant, amour disparu mais on ne l’avait pas vu, amour qui aurait pu, horizon qu’on n’atteint pas, porte qui se ferme et rage qui casse tout.

L’orchestration rock va durcir le plomb à mesure qu’on avance entre les rêves perdus et les morts irréconciliées. C’est un nerf de bœuf, une arme d’autodéfense contre les assauts mélancoliques. Elle transfigure les chansons, les récentes se tendent soudain, comme ce Par le Canada qu’on n’aimait pas forcément beaucoup et qui vous ouvre tout à coup d’autres perspectives. Cap Farvel, Valparaiso, Ce geste absent, ou Une autre vie avec ces rêves dont on ne sort pas grandis, clin d’œil au Prix Nobel de littérature du jour, Svetlana Aleksievitch. On va garder les autres au secret, de peur qu’elles s’éventent trop vite. Les morceaux les plus anciens, sous la meule électrique, en ressortent affûtés – ce qui est exactement ce qu’on attend d’un concert, là, dans la salle tendue de rouge : est-ce parce qu’à force d’être passés à la machine de scène on ne les reconnaît plus, ou bien au contraire parce que nous les connaissons plus et les goûtons mieux ? Bien sûr, en rappels, Le courage des oiseaux, bien sûr La peau en format heavy, une version étonnante de Music Hall, claustrophobe de Rouvrir, sublime de puissance et de lumière de L’horizon – son espoir forcené, ses baleines et son final en transe à la guitare électrique, façon Robert Smith dans les Encores de Cure. Et puis il y a Manset, Manset et Dominique A, ce croisement de deux univers parallèles dans le huis-clos d’une histoire de famille pulvérulente, cette chanson qui touche certains comme rarement, lignes d’écoute, cicatrices.

Dominique A est un convive aimable, une drôle de bête de scène – et puis soudain, dans l’électricité orageuse, à la dérobée d’un jeu de lumière, on se prend aussi à le voir autrement : une espèce de spectre à la Nosferatu qui, à force d’enchantement et l’air de rien, nous entraînerait avec lui dans ses ombres pour planter ses crocs dans le cou et sucer les émotions qui constituent son univers, parfois si proche du nôtre. Peut-être n’est-ce qu’une illusion de la lumière, on s’en fout, le vampire est séducteur. Et s’il y a les rares concerts où l’on frissonne, on n’avouera jamais ceux qui font monter les larmes aux yeux.


  1. Théâtre Liberté de Toulon, jeudi 8 octobre 2015, dans le cadre du festival Rade Side Of The Moon