Archives de catégorie : Papiers

Nicolas de Staël au parc de Sceaux

Nicolas de Staël, Le Parc de Sceaux
Le Parc de Sceaux, 1952, huile sur toile (162 x 114 cm)

En 1952, Nicolas de Staël est au parc de Sceaux. Il y ramasse de la matière pour une grande toile, du bleu, du gris et de la lumière.

On voit le tronc d’un arbre, un peu du bâti de la terrasse, une ombre peut-être sur le parterre et puis, surtout, outremer et blanc, cette déchirure verticale ouverte dans les gris. Un fer de bêche dans le ciel. Une lumière de peintre. En 1952, Nicolas de Staël vient peindre sur le motif, pas très loin de son atelier parisien du XIVe arrondissement. Traquer quelque chose qui le hante et qu’il maçonne ensuite sur le mur de ses grandes toiles. Au parc de Sceaux, on l’a tous vue, cette échappée belle entre les feuillages et les ombres, quand le regard porte loin vers Châtenay. On pense à une mosaïque de grès brut ; on pense à certaines photos contemporaines qui se sont emparées exactement du même cadrage, entre l’obscur et l’éclat. Mais on pense surtout, non, on ne pense plus, on se laisse envahir par la peinture, par cette matière épaisse d’énergie, aux couleurs difficiles – car la palette de Staël n’est pas séductrice, elle est subtile et l’envoûtement vient aussi de là. On croirait sentir l’huile de lin et la térébenthine et sentir aussi les puissances fragiles d’un homme sur le fil du couteau. Dans un an, dans deux ans, beaucoup plus loin dans le Sud, en Provence, en Sicile, il va voler de la couleur aux ténèbres qui le bousculent. Dans trois ans, il va décider de mourir. À 41 ans.


Le Parc de Sceaux appartient à la Collection Phillips (Washington DC).

Rokia Traoré : La scène, tout un bonheur !

Rokia Traoré © FRANCIS VERNHET

Avant son concert au festival Chorus 2010, Rokia Traoré nous parlait de la scène, du public, et de l’Afrique. Une jeune grande dame, humble et fière.

Votre son a un peu changé depuis vos concerts de l’année dernière…

Le guitariste malien avec qui je jouais a malheureusement eu un accident. En attendant qu’il puisse remonter sur scène, la tournée devait continuer… J’ai préféré prendre la différence de style du nouveau guitariste, plus rock, comme un plus : alors on a réarrangé quelques petites choses pour nous adapter.

On sent le désir, le groupe et vous, d’être rassemblés avec le public autour de la même chose…

La scène est la meilleure façon de promouvoir une musique comme la nôtre, qui n’a pas tant que ça accès à la télé et aux radios en général. En tournée, je rencontre le public et c’est ce que j’aime avant tout. Du coup, je lui donne beaucoup, mais je lui prends beaucoup aussi… La scène, c’est tout un bonheur ! Continuer la lecture de Rokia Traoré  : La scène, tout un bonheur  !

Rokia Traoré : l’invention de la plénitude

Rokia Traoré © RICHARD DUMAS 

Apparemment, le Magic Mirror de La Défense convient à Rokia Traoré et ses musiciens : trois heures de concert débridé ce mardi soir, pour l’un des temps très forts du festival Chorus 2009.

La fête commençait avec Davy Sicard, une belle surprise pour beaucoup, chantant un maloya réunionnais « un peu cabossé », une musique qui relève la tête et dit la fierté du « cœur marron » qui choisit la liberté. Et recevant l’hommage, plutôt rare pour une première partie, d’un rappel enthousiaste avant la folie à suivre.

Parce que Rokia Traoré sur scène, c’est une invention permanente, une joie communicative, une force incroyable. Où cette brindille de femme parvient-elle à trouver les ressources nécessaires pour faire des heures durant vibrer les corps et tomber les frontières entre les musiques. Commencé dans les couleurs nocturnes et le souffle des deux invités exceptionnels de la soirée, le guitariste Sébastien Martel et le vocaliste Sly Johnson, le feu prend très vite dans un public particulièrement combustible. La chair de poule s’installe quand la lumière change, que la vague se soulève soudain et qu’elle nous emporte. Rokia se lance dans ses longues mélopées scandées en bambara, et l’on pense au flow du rap, aux envolées de Nusrat Fateh Ali Khan, aux déclamations de Patti Smith : s’invente devant nous quelque chose d’inouï, musique africaine, world, blues, rock… Les musiciens jouent entre eux et avec nous, il y a du sourire partout. Rokia charmeuse, Rokia radieuse, Rokia ambassadrice d’une culture, chante, danse, crie comme on ne l’a jamais entendue, incroyablement relâchée, sa voix osant toutes les textures. Jusqu’au final ébouriffant, quand le public partage la fête jusqu’à monter sur scène et danser, quand le son devient physiquement palpable, quand personne ne veut plus partir… Il y avait ce soir-là au village du festival un miroir magique où battait le cœur des Afriques, leur histoire, leurs beautés, leurs espoirs. Pour quelques heures suspendues, nous étions visiblement heureux d’être ensemble, elle, eux et nous, autour des mêmes émotions.


Site du festival Chorus 2009

Polar des tranchées

Pecherot TranchecaillePatrick Pécherot est de ces auteurs qui renouvellent la fameuse Série Noire. Il monte au front avec Tranchecaille, un polar au Chemin des Dames1.

Quand on lui demande ce qui lui a pris de passer ces mois d’écriture dans la boue des tranchées, Patrick Pécherot répond qu’il y pense depuis longtemps : « La guerre de 14 fait partie de mes fondamentaux ! Comme beaucoup, il y a une histoire familiale. Chez nous, c’était un grand-oncle venu du Monténégro se battre en France. Le Monténégro, je ne savais pas où c’était, et j’ai longtemps cru enfant que l’oncle était un tirailleur africain… »

Le surnom de Tranchecaille, celui du personnage autour duquel tout gravite, il l’a repéré dans l’argot des poilus : « Tranchecaille, ça vient de tranche-gaye, l’ancêtre de notre “tranche de cake”, mais c’est aussi la tranchée. » Tranchecaille donc, c’est Jonas, un soldat accusé du meurtre d’un officier, dont on ne sait pas si c’est le pauvre gars au mauvais endroit au mauvais moment, ou bien quelqu’un de beaucoup plus trouble.  Continuer la lecture de Polar des tranchées


  1. Tranchecaille, Patrick Pécherot, Gallimard Série Noire, 2008, 304 p. 

Abou Lagraa

On l’avait découvert en 2000 à Suresnes Cités Danse, fusionnant la danse contemporaine et le hip-hop. Il revient dans les Hauts-de-Seine pour une résidence au long cours aux Gémeaux à Sceaux. Portrait d’un danseur chorégraphe, gourmand d’art, de musiques et de rencontres.

Portrait AbouLagraa« Lorsque j’invite le public aux répétitions, lorsque je dialogue avec lui après un spectacle, c’est pour qu’il puisse suivre en direct le travail de création et pas seulement s’asseoir dans un fauteuil, applaudir ou pas, et repartir. Pour créer un vrai lien qui ne soit pas seulement un lien de consommation. On sent immédiatement alors quand les choses sont justes et quand elles ne le sont pas. »

On croise toujours Abou Lagraa entre deux voyages. Cette fois, quelque part, dans un café de quartier hors d’âge. Il y a demain l’anniversaire de Monsieur Marcel, Monsieur Jean qui n’est pas là et dont on s’inquiète, Madame Filippi qui se chargera du paquet livré pour sa voisine… Une ambiance à la Klapisch qui semble ravir Abou Lagraa – bientôt trente-huit ans, veste noire et bagage à roulettes, la silhouette affûtée par les répétitions forcenées. Qui confesse goûter avec gourmandise le contact avec les autres. Un appétit transmis par ses parents, Algériens dans la ville d’Annonay (Ardèche, vingt mille habitants) : « Des gens d’une grande finesse, qu’on respecte, qui savent être, qui savent accueillir. Je les ai beaucoup observés… » C’est là-bas, entre la place du marché, les vieilles pierres et la campagne tout de suite à portée d’escapade que naît à seize ans le désir de danse. Une amie l’emmène assister à son cours de danse-jazz et c’est la révélation : « Ça m’a parlé tout de suite, j’avais envie de trépigner ! J’ai commencé le lendemain et, à la fin du cours, j’ai déclaré très naïvement à la prof que je voulais devenir danseur… »

Viendront ensuite le sprint long du travail et des efforts – il n’y a pas de temps à perdre quand on commence tard –, l’apprentissage acharné d’un art et de ses techniques, et l’enchaînement des bonnes fortunes. Le conservatoire national de Région de Lyon, suivi d’une audition miraculeuse au conservatoire national supérieur de Paris : dix candidats retenus sur trois cents… « Le choc ! J’ai dû tout apprendre en cinq ou six ans : la technique, la discipline, ce que c’est que le travail de danseur, ce que c’est que la danse – je n’en connaissais que ce qu’on fait dans les clips… » Étudier le classique et sa rigueur : « Je trouvais ça insupportable au début » et, révélation dans la révélation, la danse contemporaine. « Tout d’un coup, je rencontrais une danse qui permettait d’être soi-même avec une liberté qui m’a tout de suite séduit, dans ce monde de la danse très codifié, qu’il s’agisse de jazz, de classique ou de hip-hop. Une danse de l’émotion avant tout et de l’énergie. Une danse d’aujourd’hui qui est aussi une danse virtuose. »

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