Archives de catégorie : Papiers

Les bonheurs de la bonne heure

Sables 3, 2010, acrylique sur toile, 100 x 100 cm
Sables 3, 2010, acrylique sur toile, 100 x 100 cm

Une peinture de l’accident, de la trace, du matériau et de l’imaginaire, une peinture à la fois fenêtre ouverte et surface peinte.

Peindre aujourd’hui n’est pas forcément ringard ni prise de tête ! Ce n’est pas nécessairement porter le deuil de tous les « ‑ismes » de l’histoire de l’art comme un boulet au pied, ni en revêtir les défroques défraîchies, ce n’est pas obligatoirement être post-moderne et peindre sur la peinture en train de se regarder peindre, ce n’est pas toujours se sentir obligé de choisir entre la figuration et l’abstraction.

Raphaëlle Pia est peintre, aujourd’hui, tout simplement. Avec une liberté et une émotion du genre de celles qui vous saisissent aux tripes devant, par exemple, un paysage – comme ces poètes zen qui parlaient de marcher dans le soleil rouge. Tout est mouvant chez elle, brouillé, fragile, on a l’impression que rien n’était contrôlable jusqu’à ce qu’un pli froissé, une couleur éclaboussée, une coulure qui se fige, deviennent quelque chose de beau, d’intense, d’envoûtant. Un univers en soi, d’une apparente simplicité alors que rien n’est difficile comme de maîtriser cette peinture qui se construit sur l’accident. Les tableaux exposés cet été-là1 nous emmènent dans la Baie de Somme – on y sent le vent salé, les sables mouillés, la lumière des oiseaux de mer. Ici, mais ce pourrait être ailleurs, Raphaëlle Pia nous propose, comme saisis « à la bonne heure », des séries de moments exacts – ce qui ne veut surtout pas dire parfaits ni figés. « Quand je parviens à restituer les moments que j’ai vécus, je m’agrandis, je m’allège, un « bonheur » intense m’envahit et j’aimerais le partager. »


Paru dans HDS.mag n° 19, septembre-octobre 2011.


  1. Raphaëlle Pia, La Bonne Heure, Espace Icare d’Issy-les-Moulineaux, septembre 2011 

Claire Désert

Fidèle du festival de l’Orangerie de Sceaux, la pianiste y donne cette saison1 un double concert en compagnie de jeunes musiciens qui lui ressemblent.

© OLIVIER RAVOIRE Une vie de musicien, c’est d’abord une vie laborieuse : cinq à six heures de piano tous les jours… Cela ressemble en fait à une vie de sportif. Quelque chose d’à la fois très régulier, parce qu’il y a une discipline qu’on apprend très jeune et qui est très formatrice, et d’absolument pas routinier, une vie plurielle, entre les voyages et la maison, travailler seule et avec d’autres, enseigner, être sur scène…

Qui s’intéresse à la flamboyance m’as-tu-vu du musicien soliste, port de tête arrogant et éclats d’ego montés en parure, ferait mieux d’aller écouter ailleurs : Claire Désert n’est pas vraiment de cette école-là… Elle ne brandit pas la vocation prodige de l’enfant d’Angoulême ni l’illumination irrésistible de la généalogie : « Mes parents m’ont mis au piano à cinq ans, pour la culture générale, sans que je le demande… Ce n’est pas très glamour mon histoire ! Mais la greffe a bien pris, j’ai l’impression d’avoir toujours suivi un chemin, comme si la musique avait tout le temps fait partie de ma vie jusqu’à ce que je me retrouve à quatorze ans au Conservatoire de Paris. Tout s’est enchaîné simplement, comme quoi on peut-être musicien sans être enfant de musicien ! »

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  1. Carte blanche à Claire Désert, dimanche 17 juillet 2011 au festival de l’Orangerie de Sceaux. Avec Guillaume Chilemme (violon), Nathanaël Gouin (piano), Victor Julien-Laferrière (violoncelle) et Pierre Génisson (clarinette). 

Bernard Cavanna

Bernard Cavanna

Compositeur, directeur du conservatoire Edgar-Varèse de Gennevilliers, Bernard Cavanna est, ce qui ne gâche rien, l’homme le plus modeste et le plus chaleureux qui soit. Rencontre avec l’un des grands de la musique d’aujourd’hui autour de sa Gennevilliers Symphony donnée en concert par l’orchestre philharmonique de Radio-France1.

 

Comment devient-on compositeur, surtout lorsqu’on ne suit pas la voie royale du Conservatoire ?

J’ai eu la chance enfant, au début des années soixante, d’avoir un professeur de piano qui poussait ses élèves à trouver des petits airs à partir de deux ou trois accords plutôt que d’obligatoirement reproduire une partition. Elle était née en 1888, on ne pouvait pas la soupçonner d’être d’avant-garde ! Continuer la lecture de Bernard Cavanna


  1. Sous la direction de François-Xavier Roth, Gennevilliers, samedi 22 janvier 2011. Programme : Gennevilliers Symphony de Bernard Cavanna ; New York Contrepoint et City Life de Steve Reich ; Les Fonderies d’Acier d’Alexander Mossolov 

Collège du futur

Collège Descartes (image de synthèse), Antony (Hauts-de-Seine)
Collège Descartes (image de synthèse), Antony (Hauts-de-Seine) © INCUBE INFOGRAPHIE

En avant-première, l’avenir du collège Descartes d’Antony imaginé par l’agence TOA architectes associés.

Nous sommes aux confins d’Antony, exactement là où le département baptisé par la Seine cède la place à ceux baignés par la Marne et l’Essonne. Il y a des frondaisons à l’horizon du chemin de Massy à Fresnes. Ru de Rungis, zones humides : l’eau n’est jamais loin dans ce bassin de la Bièvre. Le quartier est en plein bouleversement : ici, la Région procède à la restructuration des bâtiments du lycée ; là, le Cemagref, l’institut de recherche en sciences et technologies pour l’environnement, rénove ses installations. Entre les deux et pour quelque temps encore, le collège Descartes – old school si l’on ose dire puisque le Département a décidé de procéder à sa reconstruction. Continuer la lecture de Collège du futur

Patrick Pécherot

Bien arrimé au versant historique et social du roman noir, il sort L’Homme à la carabine, autour de la bande à Bonnot1.

Portrait Patrick Pécherot J’ai toujours été attiré par les déambulations un peu mélancoliques sur le passé. C’est ce qui m’a emballé quand j’ai lu Léo Malet, c’est pour ça que j’adore Modiano : des écrivains qui marchent le nez dans un brouillard dont le parfum est incomparable.”

Matinée d’hiver sur les pavés du vieux Puteaux, il fait un froid de guillotine. Patrick Pécherot – haute silhouette noire, la cinquantaine, pas vraiment le genre à vous taper sur le ventre mais l’humour pince-sans-rire une fois le regard allumé derrière les lunettes rondes – est venu en voisin. Né à Courbevoie où il demeure, il a passé sa jeunesse ici : « Mon grand-père avait une minuscule entreprise de peinture, avec deux ouvriers. À sa mort, avant la guerre, sa veuve a repris son boulot de repasseuse. Grandeur et misère de la famille… » Le nez en l’air, on circule dans les vieilles rues d’un quartier qui se transforme, exactement là où, dans les ombres militantes, errait le narrateur de son deuxième roman, Terminus Nuit. Ici, une superbe école blanche et verte dont l’arbre surgi de derrière le muret évoque un temple japonais ; là, une élégante maison 1830 – c’est le voisin, fidèle au poste depuis cinquante ans, qui nous refile le tuyau.

Et l’homme à la carabine ? Rien à voir avec le Far West et la Winchester sciée de Steve McQueen. Plutôt avec un autre noir et blanc, celui des fumées d’usine et du papier des journaux anarchistes, la violence d’une autre époque. Et le sang. « Depuis que je suis ado, je me suis intéressé à la bande à Bonnot. Pas seulement ce qui arrive à la fin, les agressions, le procès, mais l’épaisseur des personnages, leur trajet. Ils ont expérimenté des choses qu’on retrouve telles quelles dans les années soixante-dix : la contre-culture, la vie plus ou moins communautaire, les préoccupations écologistes. Et puis, quand on est jeune, on a toujours un peu le romantisme du bandit. Certains d’ailleurs avaient une dimension touchante et d’autres au contraire… Parce que bon, le crime de Thiais, deux vieux massacrés au marteau, j’avais quand même du mal… Et malgré tout, l’un des protagonistes avait cette dimension ambiguë : un mec qui dès qu’il avait un peu d’argent achetait des oiseaux et ouvrait les cages… » Continuer la lecture de Patrick Pécherot


  1. L’Homme à la carabine, Patrick Pécherot, Gallimard, 2011, 272 p.