Composition de Laurent Cuniot. Pour flûte (+ flûte alto), clarinette, cor, piano, percussions, violon, violoncelle et sons fixés. Durée : 25 min. Création : 20 mai 1998, Maison de Radio-France, Ensemble TM+, direction Laurent Cuniot.
Évidemment, on pourrait présenter Solaires comme une musique de lumière.
Précisément, décrire ses effectifs comme l’affaire de sept plus un, soit une multitude ; sept instruments, dont un piano et un fort ensemble de percussions, plus un dispositif électroacoustique.
Quatre compositeurs d’aujourd’hui étaient au programme du récital pour voix seule et électronique donné par la soprano Raphaële Kennedy le 12 mai 2015 à Marseille. Nous y étions et l’on va vous faire regretter de ne pas.
Le PIC (pôle instrumental contemporain) est à l’Estaque, ce “village” de Marseille qui n’a somme toute pas tant changé depuis Cézanne et Marquet, vieux quartier populaire et industrieux, encore que les usines, aujourd’hui… Ruelles étroites, stationnement en pagaille, les enfants et leur mère dehors, le dédale des traverses et des arrière-cours, le gros chien débonnaire et la vue sur la mer, en bas. Cela vous a des airs de cliché, on dirait le Sud, le temps dure longtemps… Et c’est pourtant en haut de ce morceau de colline qu’on trouve le PIC – un espace de concert qu’on dirait improbable si le terme n’avait été tant usé. Et qui pourtant l’est, improbable, hors du circuit obligé de la musique contemporaine. Et mériterait sans doute qu’on y accorde plus d’attention : allez, une navette ou deux et la musique d’aujourd’hui – l’autre musique d’aujourd’hui – aurait un nouvel espace et de nouvelles oreilles à ensemencer. Continuer la lecture de À elle-même révélée→
Comment présenter ces deux programmes proposés par la pianiste Vanessa Wagner ? Dire que ce sont des habillages numériques – visuel ou sonore – sur des œuvres du répertoire ferait fuir à la fois les classiques et les modernes… Alors que, justement, les dispositifs imaginés ont tout pour convaincre – et enthousiasmer – des publics qui en général ne se croisent pas au concert. Du crossover comme on dit aujourd’hui, la rencontre transversale entre ceux qui croient au numérique et ceux qui n’y croient pas…
Ravel Landscapes, en collaboration avec les vidéastes Quayola et Natan Sinigaglia, ce sont des paysages de synthèse projetés sur grand écran, déclenchés, animés, modifiés en direct par le jeu de la pianiste. Particules, cristaux, éclats, mouvement, lumière : on n’assiste plus à un concert, mais on fait un voyage à travers des sensations presque physiques et réellement jubilatoires. Que les puristes se rassurent, cela ne remplace pas les paysages intérieurs d’une écoute aveugle – mais ce n’est pas fait pour : c’est différent, c’est inventif, c’est beau.
Beyond my piano, rencontre entre Vanessa Wagner, le musicien « futuriste » mexicain Murcof, et des œuvres de Satie, Ravel, Pärt ou Adams, est également une extension du domaine sonore. Strates, métamorphoses, liberté de réinterprétation : les paysages sont inédits, le dialogue permanent entre le symbole d’une histoire de la musique classique et les machines numériques jouées comme de vrais instruments.
Puisqu’une musicienne aussi intègre, imaginative et sensible que Vanessa Wagner s’acoquine avec la modernité d’aujourd’hui, tout n’est peut-être pas finalement perdu !
Programme du concert : Ivan Fedele, Immagini da Escher, pour flûte, clarinette, vibraphone, piano, violon, violoncelle. Laurent Cuniot, Reverse Flows, création pour alto, ensemble et électronique. Jesper Nordin, création pour ensemble et électronique.
La musique ici est comme une architecture en mouvement.
Les gestes physiques, les déplacements, accélérations, suspensions dans le temps, qui animent la création de Jesper Nordin – compositeur, improvisateur et inventeur de dispositifs sonores – conçue pour ensemble instrumental, électronique live et mouvements du corps dans les matières brutes d’un paysage agité.
Les mouvements paradoxaux des Immagini da Escher, d’Ivan Fedele, qui s’appuient – si tant est qu’on le puisse – sur les espaces imaginaires du dessinateur M.C. Escher : circulations infinies, échelles cycliques en trompe-l’œil, prismes, miroirs.
Laurent Cuniot
Les courants contraires, les flux opposés de Reverse Flows, de Laurent Cuniot, qui bouillonnent comme une renverse de grande marée, brassant dans un double dispositif électronique des éléments du prologue des Pétales dans la bouche, l’opéra créé en 2011 à la Maison de la musique. Alto soliste, groupe instrumental, tensions dans la matière sonore du murmure à la véhémence, mais tout est comme élargi, démultiplié, réverbéré dans l’espace du traitement électronique en temps réel ; en contrepoint, s’y affrontent les énergies percussives, les vélocités fulgurantes, les trajectoires et les ruptures de la partition électro-acoustique. Alors, dramaturgie polyphonique, dialectique sonore, narration sans texte : à chacun sa façon d’entendre avant d’être emporté dans l’irrésistible réseau d’eaux vives et de courants profonds d’une musique à l’architecture rigoureuse et aux mouvements débridés.
Programme du concert autour du rapport à la nature : Heinz Holliger, t(air)e, pour flûte solo. Béla Bartók, Musiques nocturnes, pour piano. Gyorgy Kurtag, Hommage à Schumann, pour clarinette, alto et piano. Robert Schumann, Märchenerzählungen, pour clarinette, alto et piano. Florence Baschet, The Waves, création pour voix, flûte, clarinette, piano, violon, alto, violoncelle et électronique. Johannes Brahms, Intermezzi, pour piano.
Vagabondages de Schubert, errances de Schumann, passions apaisées de Brahms : le romantisme musical pratiquait l’art d’être soi en communion ou en souffrance avec la nature. Le chemin n’a pas été perdu depuis.
D’autant que, plus nos brutalités industrielles asservissent la nature, moins le rapport des forces spirituelles est en notre faveur. On entendra donc, à mesure de ce voyage d’hier à aujourd’hui – qui est tout autant un paysage de l’écoute –, de moins en moins de mâles certitudes, et de plus en plus de nuits aux perspectives indécises.
Jeu de souffles et de silences, t(air)e, de Heinz Holliger, invoque la nature d’avant, la flûte instrument premier à l’orée de l’homme, la matière du son et l’intensité du corps. Bruissement, murmures, cri des ombres, les Musiques nocturnes de Béla Bartók relèvent le drap de la nuit sur un temps suspendu et les lointaines pulsations du vivant. L’Hommage à R. Sch(umann) de Györgi Kurtág, rôde dans la même nuit. Infiniment fragile, c’est un miracle du presque rien où battent des tensions comme pour marquer, mais à peine, que s’il y a quelque chose de durable ici, c’est le dehors et que notre dedans finira par s’y dissoudre.
Florence Baschet
Au centre du programme, The Waves – la création de Florence Baschet autour du prologue des Vagues de Virginia Woolf – a quelque chose de la poésie zen : elle donne à entendre le vide. La séparation infiniment lente de la nuit et du jour sur la mer, le déchirement interminable du ciel et des eaux dans la lueur d’un premier matin : la nature tiendrait toute entière dans ce chant de femme.