Une électronique de cristal
Au cœur de ce programme, donc, la femme, “à elle-même révélée”. Femme qui compose et mots de femmes, désirs de femme et guerres de femme, femme qui chante, femme qui aime, femme qui crie, qui se bat, femme aux voix multiples, voix accordées, ennemies, étrangères, voix prolongée et voix chères qui ne se taisent pas. Et quelles voix… Difficile de caractériser l’essence d’une voix. Sinon par des correspondances que les puristes réprouvent — mais tant pis. Il y aurait des voix du domaine minéral, des voix de métal, des voix de tissus plus ou moins veloutés, moirés, froissés, des voix de porcelaine et d’autres de grès fêlé, des voix de feu et des voix de cendres. Celle de Raphaële Kennedy relèverait – puisqu’il faut bien y arriver maintenant qu’on s’est mis en tête d’en dire le fin mot – du cristal, du translucide, de l’éclat qui surgit sur l’angle du mot. Un cristal où passeraient, insaisissables, des couleurs, comme dans ces vitraux d’aujourd’hui qu’on fond à très vive température ; oui, ce serait quelque chose de cet ordre-là, une voix fusing, virtuose sans esbroufe, un cristal de chair, une transparence incarnée.
Parce qu’il ne suffit pas, comme un cristal bat dans les électroniques, de chanter des phonèmes en usant de tous les moyens d’expression qui font sonner la langue : les chuchotements, les tenus, les filés, les grondements, les souffles, le rauque, le balbutiant, tout le vocabulaire un peu ésotérique et particulièrement imagé de la phonétique, ses dentales, ses glottales et ses fricatives… Il faut aussi, en même temps et avec la même exigence, en tirer la chair et le sang, la palpitation du sens, nous en donner le goût afin d’en transmettre l’émotion. C’est exactement ce qui se passe des deux côtés du miroir de l’électronique, petit miracle renouvelé à chaque instant par l’entrelacement de la voix fixée et de la voix vivante.
Photos © Isabelle Françaix (www.isabellefrancaix.com – www.facebook.com/isabelle.francaix)