Archives par mot-clé : Contemporaine

Du Lied aux Chants

Raphaële Kennedy et TM+
Raphaële Kennedy et TM+

Ensemble orchestral dédié à la musique contemporaine, TM+ est en résidence à la Maison de la musique de Nanterre depuis 1996. Il était en concert le vendredi 21 mars 2014 avec un bouleversant programme de musique d’hier et d’aujourd’hui.

Les concerts construits par Laurent Cuniot autour d’œuvres complémentaires mais très différentes sont une « marque de fabrique » de TM+. Ils tracent des routes inédites entre les compositeurs, ils ouvrent des perspectives nouvelles sur nos géographies intérieures. À leur écoute, on saisit ce que sont la virtuosité, la subtilité et l’engagement physique de musiciens au sommet, emmenés par un chef à la fois exact et lyrique. On ressent aussitôt l’envoûtement de ces musiques, pour peu qu’on accepte de faire tomber les barricades de l’habitude. Et l’on se dit, réunis dans une salle de concert, que c’est un privilège de se retrouver ensemble, à l’écoute de son temps.  Continuer la lecture de Du Lied aux Chants

Citoyenne insolente


Programme du concert :
Georges Aperghis : La nuit en tête (2000) pour soprano, flûte, clarinette, violon, violoncelle, piano et percussions. Alexandros Markeas : Trois clins d’œil rythmés (2006) pour clarinette et électronique. Thomas Adès : Catch (1991) pour clarinette, piano, violon et violoncelle. Laurent Cuniot : Prélude démesuré (2012) pour violon et clarinette. Alexandros Markeas : Citoyenne insolente (création 2014) pour soprano, flûte, clarinette, violon, violoncelle, piano et percussions.


La création n’est pas un long fleuve tranquille. Mais un confluent plutôt agité où se déversent, parfois venues du plus loin de notre histoire et parfois surgies d’on ne sait où, beaucoup d’audaces qui éclaboussent.

Une génération sépare Georges Aperghis et Alexandros Markeas. Grecs arrivés à Paris à 20 ans, engagés tous les deux dans le monde mais de façon différente, leur rencontre est un peu celle de celui qui croyait aux racines et celui qui n’y croyait pas…

La Nuit en tête de Georges Aperghis, ce sont des morceaux de nocturnes obsédants, une voix entêtante dans une partition de nuit où les micro-intervalles fusent comme des lueurs à peine saisissables. On y voyage dans le ténu, le babillement, la prolifération, quelque part où les choses sont aussi solides que des sables mouvants, aussi stables qu’un éclat de lune sur une eau noire.

Une nuit d’un autre genre tombe sur notre siècle, qui n’a plus beaucoup de sens et se cherche une voix. La Citoyenne insolente d’Alexandros Markeas s’appuie sur d’anciens héritages pour affronter debout l’avenir qu’on lui refuse et les nuits sans fin qu’on lui promet. Continuer la lecture de Citoyenne insolente

Festival Beethoven

© CATHERINE KOHLER


Orchestre symphonique de Mulhouse, Quatuor Arditti, Claire Désert, Florent Boffard, Nelson Goerner, Tedi Papavrami, Marc Coppey, John Mark Ainsley : Festival Beethoven, œuvres de Beethoven et Boulez.


En grande formation et en petit comité, sur trois jours et une belle unité de style, voilà un festival Beethoven à taille humaine où l’on ne risque ni l’ennui ni la saturation.

Beethoven, trop souvent figé dans son masque mortuaire comme une statue de Commandeur, traîne une image trompeuse de vieux lion grincheux, lui qui en mourant épuisé à 56 ans n’aura jamais pris le temps de devenir vieux. L’essentiel du programme tiendra donc dans la décennie 1802–1812. Musique brillante, révolution en marche que rien n’arrête, front levé haut, c’est la période qu’on a appelée « héroïque » – parce que nous aimons à ranger les génies dans des boîtes, cela facilite notre consommation… Les principales compositions datent des années prodigieuses, entre 1804 et 1807. Ce n’est plus le jeune loup qui partait à Vienne avec des dents à décroisser la lune, pas encore le solitaire dans la tourmente hanté par l’avenir. Beethoven a trente-cinq ans, Mozart est mort, Haydn est vieux, le romantisme attendra encore un peu. Ici, on commence à bâtir pour l’éternité et, malgré les misères cruelles de la surdité, la musique souffle fort.

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Vanessa Wagner, Études pour piano de Dusapin

© JB PELARDON

Dimanche matin, assis sur un gradin de l’amphithéâtre d’Arles, juste après le récital de Vanessa Wagner : les Études pour piano de Pascal Dusapin1.

Longtemps après encore, comme gorgé, engorgé de musique – le mot n’est pas très élégant mais c’est celui qui me vient en premier ; satiété, plénitude sont un peu pincés pour cette impression de gourmandise accomplie.

Une musique – composition et interprétation – d’espaces, de blocs et de mouvements, avec quelque chose parfois de ces rochers ronds immenses qu’on voit plantés dans la mer, quand l’eau y circule d’éclat en éclat. Une musique de grêle cascadant sur des ardoises glacées, qui fait sonner dans les basses une quelconque mémoire minérale.

Une musique de moments exacts, où l’oiseau est à fleur de navire sur l’horizon, tirant d’eau contre tirant d’aile.

Une musique de liberté, entre hasard et exploration : c’est bâti solide dans la matière sonore et soudain ça se délite et ça vibre dans ce qui n’est pas le silence, pas encore, ne l’est plus.

Une musique – écriture et jeu – qui va fouiller tellement loin dans les contrastes, ombre-lumière, frappe-résonance, ralenti-saccade, qu’elle en vient à faire bouger les lignes du temps. C’est une sensation tellement troublante, comme si l’on bousculait nos perspectives sur le réel – quelque chose de similaire se produit ainsi dans le dérèglement de l’implacable du temps à la fin de Faustus, the last night.

On revient du concert comme d’une navigation ou d’une randonnée : saturé, enrichi. Ce que l’on va chercher à retrouver en réécoutant l’enregistrement, et qu’on ne retrouvera pas, pas comme ça – mais on découvrira autre chose, comme sur les photos du compositeur, des lignes, des masses, des transparences et des grains2.

Au retour d’un concert, il n’y a pas tellement d’occasions pour l’auditeur de rendre un petit morceau d’émotion au compositeur et à l’interprète. En voilà donc des miettes, comme un remerciement éparpillé dans le vide.


  1. Chapelle du Méjan, Arles, le dimanche 30 septembre 2012 

  2. L’enregistrement des Études pour piano de Pascal Dusapin par Vanessa Wagner est accompagné d’un portfolio de photographies de Pascal Dusapin et d’un texte – comme toujours passionnant – de Michel Onfray : “une matérialisation de l’immatériel, une saisie pure de l’éphémère, un arrêt du temps…” [Musicales Actes Sud/Harmonia Mundi, 2012] 

Bernard Cavanna

Bernard Cavanna

Compositeur, directeur du conservatoire Edgar-Varèse de Gennevilliers, Bernard Cavanna est, ce qui ne gâche rien, l’homme le plus modeste et le plus chaleureux qui soit. Rencontre avec l’un des grands de la musique d’aujourd’hui autour de sa Gennevilliers Symphony donnée en concert par l’orchestre philharmonique de Radio-France1.

 

Comment devient-on compositeur, surtout lorsqu’on ne suit pas la voie royale du Conservatoire ?

J’ai eu la chance enfant, au début des années soixante, d’avoir un professeur de piano qui poussait ses élèves à trouver des petits airs à partir de deux ou trois accords plutôt que d’obligatoirement reproduire une partition. Elle était née en 1888, on ne pouvait pas la soupçonner d’être d’avant-garde ! Continuer la lecture de Bernard Cavanna


  1. Sous la direction de François-Xavier Roth, Gennevilliers, samedi 22 janvier 2011. Programme : Gennevilliers Symphony de Bernard Cavanna ; New York Contrepoint et City Life de Steve Reich ; Les Fonderies d’Acier d’Alexander Mossolov