Composition de Laurent Cuniot pour clarinette, cor et vibraphone. Durée : 12 min. Création le 3 février 2002 à la Maison de la musique de Nanterre avec Philippe Berrod, clarinette, Patrice Petitdidier, cor, et Florent Jodelet, vibraphone.
Le titre est un emprunt à Pascal Quignard, qui évoquait ainsi la trace de l’artiste laissée dans l’œuvre par l’image des mains négatives posées sur les parois des grottes préhistoriques, mains invisibles qui font revenir, combien émouvantes parce qu’elles échappent à notre entendement du temps, celles du dessinateur perdu dans les gènes de notre lignée. Un emprunt, une empreinte, celle du compositeur dans la musique qui se déploie, et la marque des instrumentistes qui l’incarnent.
En cinq courtes pièces – cinq doigts pour servir la métaphore – composées dans un alliage de timbres rares : clarinette, cor et vibraphone. Presque au creuset alchimique, entre la liquidité mercurielle de la clarinette, la densité oxydée du cor, et la palpitation vitale du vibraphone. Ou si l’on préfère – et cela sera moins échevelé, plus musicien : la mobilité permanente de la clarinette, les espaces ouverts par le cor, les harmonies pulsatiles du vibraphone.
Mais on aime quand même l’image du creuset, chimique ou alchimique, selon le degré de magie qu’on souhaite y mettre. Parce que, dans ces Mains invisibles, sont en jeu des équilibres précieux et des rituels au peson. Comme dans toute combinaison d’éléments réactifs, le moindre excès de dosage, le plus petit relâchement, et l’or ne le devient pas, qui reste boue au fond du ratage et sent mauvais. Or ici, tout est scintillant, irisé et respire
la joie – qui est un autre mot pour le bonheur de vivre et n’interdit pas l’intériorité. Tout ici est affaire d’équilibre entre une certaine pureté – des timbres, des phrasés, de l’articulation – et les minuscules événements sonores qui dramatisent la forme du tout et des parties – autrement dit l’énergie qui les anime, les contrastes qui les remuent, les forces qui les font tenir ensemble. Une musique qui avance entre le cristal et le bouillonnement.
Virtuose, chantante, miroitante, alternant le volubile et le suspensif, la première pièce serait un peu le pouce de ces Mains invisibles, opposable à chacun des autres doigts et qui leur donnerait leur sens.
Ensuite, de réaction en opposition, de conflit en apaisement, d’étincelle en contamination, les trois instrumentistes alternent pour souffler leur poudre d’ocre autour de la main invisible du compositeur. On entend la clarinette comme un index tendu montrerait la lune, on l’écoute se glisser dans une zone de chant nocturne, le cor en écho. La voile majeure du vibraphone gouverne la houle et les balancements puis les vents progressivement se tendent avec une intense énergie contenue. Cela peut soudain craqueter comme un feu de Saint-Elme, s’agglutiner en grains avant de se fondre dans des circulations sonores annulaires.
À la dernière pièce, l’auditeur attentif aura repéré motifs et mouvements issus de la première ; il leur trouvera une saveur renouvelée parce qu’elle sera passée au filtre de ce qu’il vient d’écouter, en bon témoin auriculaire, et qui n’en finit pas vraiment.
Car ce n’est pas rien de refermer ces Mains invisibles, non comme un poing serré, mais comme une boucle ouverte.
À propos des Mains invisibles, sur le site de Laurent Cuniot