Des pétales dans la bouche


Opéra à une voix de Laurent Cuniot pour mezzo-soprano et ensemble instrumental sur un livret de Maryline Desbiolles. Durée : 50 min. Création le 18 mai 2011 à la Maison de la musique de Nanterre. Sylvia Vadimova, mezzo, ensemble TM+ sous la direction de Laurent Cuniot.


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Première partie : à propos de

Des pétales dans la bouche est un opéra à une voix. De femme. D’une femme, justement, à la recherche de sa voix, perdue. Voix aux multiples résonances d’une femme aux multiples incarnations, c’est, si l’on ose dire, chacune d’entre nous : elle revient sur ses pas, refait le chemin pour rompre le silence et renouer avec son chant intime.

Voix perdue, voix retrouvée : les apparences de l’argument – le pitch comme on dit de nos jours pour réduire à rien le moindre effort de complexité – ne disent rien de ce qui est en jeu. Perdre sa voix ? Oh, c’est bien peu de chose, c’est perdre ses amours, son pouvoir de séduction, son corps, c’est vieillir loin de son enfance, se dessécher comme un vieil arbre, mourir de silence… Le drame n’est pas cosmétique ; en une heure et l’air de rien il touche aux sujets essentiels – ils ne sont pas si nombreux : la vie, la mort, l’amour, ce qui nous constitue, ce qui nous grandit, ce qui nous tue et ce qui nous sauve.

Mais tout cela « sans affectation », comme on le chante chez Debussy. Parce que cette musique a une saveur rare et précieuse : elle est toujours musique de lumière, même dans les ombres, musique qui respire, avance et s’élève ; expressive et jamais dépressive, lyrique mais jamais cynique. Avec même, chez cette femme dont le chant ne se refuse rien puisqu’elle en attend tout, une certaine qualité d’humour, entre dérision, politesse du désespoir et joie éclatante. Une ardente légèreté dont l’influence tient sans doute aux pétales du titre – ceux d’un prunier – qui volent ça et là comme un leitmotiv poétique : souvenir d’enfance, neige virginale, blancheur de linceul, gourmandise italienne voire sensualité du toucher de la peau et le reste qui s’ensuit…

Dans cette écriture musicale, l’art de la chanteuse – qui, elle, n’a pas perdu sa voix – est d’en user comme si ; c’est l’art de ne pas chanter beau mais de chanter vrai, comme on parle, comme on geint, comme on crie. D’user de couleurs infiniment variées. D’oser l’élégance de la retenue. De jouer avec les timbres, incroyablement jeune ici, mutine, voix d’enfance presque ; là, cri soudain, déployé ; entre deux, sur une ligne mélodique pourtant tellement propice au bel canto, de parier sur le fredonnement ; ou bien encore de livrer le nu d’un mot, d’une phrase, en les faisant bruisser comme des pas sur le gravier.

Mais quand on a dit cela, on n’a rien dit. Et c’est tant mieux parce qu’il faut être bien présomptueux pour écrire sur un opéra ; bien aventureux pour faire l’équilibriste sur les pointes du triangle, au centre de gravité d’une rencontre entre le compositeur, la librettiste et la chanteuse ; bien glouton pour aller en rajouter dans ce mille-feuilles.