Programme du concert :
Kaija Saariaho, From the grammar of dreams (1988). Robert Pascal, Xi ling (2012). Jean-Baptiste Barrière, Ekstasis (2014). Pierre-Adrien Charpy, Vivante morte éblouie (2011). Kaija Saariaho, Lonh (1996).
Quatre compositeurs d’aujourd’hui étaient au programme du récital pour voix seule et électronique donné par la soprano Raphaële Kennedy le 12 mai 2015 à Marseille. Nous y étions et l’on va vous faire regretter de ne pas.
Le PIC (pôle instrumental contemporain) est à l’Estaque, ce “village” de Marseille qui n’a somme toute pas tant changé depuis Cézanne et Marquet, vieux quartier populaire et industrieux, encore que les usines, aujourd’hui… Ruelles étroites, stationnement en pagaille, les enfants et leur mère dehors, le dédale des traverses et des arrière-cours, le gros chien débonnaire et la vue sur la mer, en bas. Cela vous a des airs de cliché, on dirait le Sud, le temps dure longtemps… Et c’est pourtant en haut de ce morceau de colline qu’on trouve le PIC – un espace de concert qu’on dirait improbable si le terme n’avait été tant usé. Et qui pourtant l’est, improbable, hors du circuit obligé de la musique contemporaine. Et mériterait sans doute qu’on y accorde plus d’attention : allez, une navette ou deux et la musique d’aujourd’hui – l’autre musique d’aujourd’hui – aurait un nouvel espace et de nouvelles oreilles à ensemencer.
Dedans, la salle de bois blond sent encore un peu la résine — ce qui convient assez naturellement aux compositeurs invités : l’une est finlandaise, les autres ont des accointances provençales, autant de pays complices des pins, sapins et mélèzes. Sur scène, campée droite dans cette pose qui est toute elle – les précieux d’autrefois parlaient de noblesse du port – Raphaële Kennedy est seule. A‑t-on seulement idée de combien une chanteuse est seule dans un pareil programme, malgré le plus considérable des orchestres, aux effectifs infinis, aux timbres sans limites ?
Seule, indiscutablement, mais pas absolument. On ne veut pas seulement faire allusion aux deux compositeurs là-haut chargés de la diffusion sonore – et quand on dit là-haut, entendons-nous : le là-haut d’ici-bas, la console au sommet des gradins… On ne veut pas non plus parler de celle qui, usant de sa caméra comme d’une lanterne magique à faire lever les spectres, enrichira d’incrustations une grande partie des images projetées sur écran durant le concert. Et moins encore de nous, public ; encore que la solitude de l’artiste sur scène n’est, semble-t-il, pas exactement celle que l’on croit quand nous lui faisons face : son chant s’y appuie et nous réverbère. Non, il s’agit surtout de l’unicité relative de la voix passée par “le traitement électronique en temps réel”. L’expression, inélégante, sent encore un peu son geek, mais ne signifie pourtant rien de plus ésotérique qu’une façon nouvelle d’ouvrir et de peupler les espaces musicaux qui se creusent autour de la voix. Voix doublée, redoublée, prise dans l’écho, accompagnée, suivie, anticipée ou rattrapée par ces voix autres qui nous habitent sans qu’on en soit réellement conscient jusqu’à ce qu’un compositeur, justement, les révèle.