Bien arrimé au versant historique et social du roman noir, il sort L’Homme à la carabine, autour de la bande à Bonnot1.
❝ J’ai toujours été attiré par les déambulations un peu mélancoliques sur le passé. C’est ce qui m’a emballé quand j’ai lu Léo Malet, c’est pour ça que j’adore Modiano : des écrivains qui marchent le nez dans un brouillard dont le parfum est incomparable.”
Matinée d’hiver sur les pavés du vieux Puteaux, il fait un froid de guillotine. Patrick Pécherot – haute silhouette noire, la cinquantaine, pas vraiment le genre à vous taper sur le ventre mais l’humour pince-sans-rire une fois le regard allumé derrière les lunettes rondes – est venu en voisin. Né à Courbevoie où il demeure, il a passé sa jeunesse ici : « Mon grand-père avait une minuscule entreprise de peinture, avec deux ouvriers. À sa mort, avant la guerre, sa veuve a repris son boulot de repasseuse. Grandeur et misère de la famille… » Le nez en l’air, on circule dans les vieilles rues d’un quartier qui se transforme, exactement là où, dans les ombres militantes, errait le narrateur de son deuxième roman, Terminus Nuit. Ici, une superbe école blanche et verte dont l’arbre surgi de derrière le muret évoque un temple japonais ; là, une élégante maison 1830 – c’est le voisin, fidèle au poste depuis cinquante ans, qui nous refile le tuyau.
Et l’homme à la carabine ? Rien à voir avec le Far West et la Winchester sciée de Steve McQueen. Plutôt avec un autre noir et blanc, celui des fumées d’usine et du papier des journaux anarchistes, la violence d’une autre époque. Et le sang. « Depuis que je suis ado, je me suis intéressé à la bande à Bonnot. Pas seulement ce qui arrive à la fin, les agressions, le procès, mais l’épaisseur des personnages, leur trajet. Ils ont expérimenté des choses qu’on retrouve telles quelles dans les années soixante-dix : la contre-culture, la vie plus ou moins communautaire, les préoccupations écologistes. Et puis, quand on est jeune, on a toujours un peu le romantisme du bandit. Certains d’ailleurs avaient une dimension touchante et d’autres au contraire… Parce que bon, le crime de Thiais, deux vieux massacrés au marteau, j’avais quand même du mal… Et malgré tout, l’un des protagonistes avait cette dimension ambiguë : un mec qui dès qu’il avait un peu d’argent achetait des oiseaux et ouvrait les cages… »
Bascule du décor : bistrot à l’ancienne, l’un des secrets les mieux gardés de Puteaux, nappes rouges et blanches, vieilles réclames et menus d’autrefois sur les murs, un antique hachoir à viande, quelques moules à kouglof. L’homme à la carabine, donc – superbe photo sur la jaquette du roman – c’est le dernier venu dans la bande : André Soudy, il n’a pas vingt ans. Pendant le hold-up de Chantilly, il tient la foule en respect, d’où son surnom : « Mais il doit sans doute tirer en l’air parce que personne ne meurt devant la banque… La légende d’ailleurs veut qu’il manque de se tirer une balle dans le pied et qu’il s’évanouisse dans la De Dion-Bouton, sortie des usines à deux pas d’ici. Mais pour la postérité judiciaire, il restera l’homme à la carabine, le premier à être arrêté. Il avait très brièvement habité Puteaux. L’occasion de vérifier l’amour très français pour la correspondance : pas celle de Madame de Sévigné, plutôt les lettres envoyées à la police… Quand Soudy est arrêté, un épicier le reconnaît sur les photos des journaux et envoie une lettre : il a travaillé chez moi, il habitait à tel endroit et je me suis toujours douté que etc. Je l’ai choisi parce que c’était le plus fragile de la bande. Issu d’une famille ruinée, Soudy devient garçon d’épicerie à douze ans. Il monte à Paris, enchaîne les épiceries, se fait virer de droite et de gauche parce qu’il a mauvais esprit, il prend sa carte au syndicat, fréquente les anarchistes, fait des petits larcins… Il en arrive même à dévaliser une coopérative ouvrière ! Ses histoires d’amour finissent mal et il est tubard jusqu’à la moelle… L’esprit très titi parigot, mais la poisse incarnée ! Il se met dans la bande à Bonnot dans la dernière ligne droite, quand ils ont déjà toute la police aux fesses. »
Bref, le mauvais genre, celui à se trouver au mauvais endroit au mauvais moment – un peu comme le héros pas forcément sympathique du précédent roman de Pécherot, Tranchecaille. Mais pourquoi à ce moment-là, quand tout part déjà en vrille ? Et qu’au bout de la glissade, il y a l’échafaud. Voilà l’un des nombreux sujets du livre, l’une de ces réponses qu’on ne trouve pas dans les archives, peut-être seulement derrière les mots de l’écrivain et qui en expliquent la construction originale : la voix de Soudy, des morceaux de scénario, des arrêts sur images. Et puis les « feuilles volantes », extraits de textes d’auteurs et d’acteurs qui évoquent la bande à Bonnot. « Rien d’inventé, que du vrai ! Henri Calet, Aragon, Colette, Arletty, Gabin, Musidora, Brassens, Boris Vian… L’ensemble est censé faire un portrait patchwork d’un personnage qui a gardé son mystère. Parce que ce n’est pas un roman à suspense, on se doute bien de comment ça va finir… »
Paru dans HDS.mag n° 15, janvier-février 2011.
L’Homme à la carabine, Patrick Pécherot, Gallimard, 2011, 272 p. ↩