Compositeur, improvisateur, metteur en scène, le musicien crée cette saison, à la Maison de la musique de Nanterre, Cosmos 1969, premier pas sur la Lune et voyage poétique dans la mémoire.
❝ Ce qui m’intéresse, c’est l’humain, l’émotion. Je travaille beaucoup sur le côté sensoriel. J’aime la dimension vibratoire du son : on entend avec les oreilles et avec la peau.
En 2012, Thierry Balasse et ses musiciens créaient La Face cachée de la Lune : l’intégralité sur scène de l’album Dark Side of the Moon des Pink Floyd, bidouillages sonores compris, avec ce supplément d’improvisation qui ouvre sur l’émotion inouïe – ainsi qu’il a baptisé sa compagnie. Mission impossible – les Floyd n’ont jamais pu le faire tant les mirages du studio échappaient à la réalité technique de l’époque – qui s’est pourtant renouvelée cent vingt fois. En 2018, Thierry Balasse retourne dans l’espace s’intéresser au premier pas de l’homme sur la Lune, dans le même esprit de poésie sonore et de paysage sensoriel.
La face cachée des étoiles
Depuis qu’il est gamin, Thierry Balasse regarde le ciel. Enfant de banlieue en guerre contre les lampadaires nocturnes comme Don Quichotte contre les moulins. « Un ciel étoilé, c’est magnifique. Ensuite, c’est scientifiquement fascinant, cela met en jeu des lois physiques qui ne sont pas forcément les mêmes que sur Terre. L’astronomie est une vieille passion d’enfance, j’aurais adoré travaillé dans ce secteur. » Nous sommes au milieu des années soixante-dix, Thierry Balasse a 12 ans et une petite lunette astronomique : « J’ai basculé », se souvient-il. Avant de se rattraper in extremis à la musique. « Il y a toujours eu du son à la maison, mon père avait construit sa chaîne hi-fi, il y avait même un magnéto à bandes. » Le frère aîné lui pose un casque sur les oreilles entre deux relevés d’étoiles filantes : « Pink Floyd, l’album Dark Side of the Moon : la claque ! Il y avait là toutes les dimensions du son : la musique, du synthé comme on n’en avait jamais entendu, les voix, les bruitages… Cela m’a aussitôt donné l’envie de faire de la musique. Dans le groupe des copains, il manquait un batteur, c’était parti. »
De Pink Floyd à Pierre Henry
Le jeune percussionniste entre à l’École nationale supérieure des arts et techniques du théâtre pour y suivre des études de technicien son. Il a comme professeur Étienne Bultingaire, qui est l’interprète sonorisateur de Pierre Henry, pionnier de l’aventure électroacoustique. Le mot fait peur, mais la réalité sonore peut être enchanteresse : Thierry Balasse succombe au chant des sirènes « concrètes », en découvrant qu’il faisait de l’électroacoustique sans le savoir. « C’est une musique qui utilise des appareillages, pas forcément des instruments de musique au sens classique, et qui remet en avant le travail sur la texture sonore. Après l’abstraction de l’écriture musicale, la musique concrète a retrouvé le goût de la manipulation du son avec ses accidents. » En 1992, il rencontre Pierre Henry, devient au fil des ans l’un de ses interprètes privilégiés, du « plus gros concert de Pierre Henry » sur la place du Zocalo à Mexico devant 50 000 personnes, jusqu’à cet automne l’hommage de la Nuit blanche à la Philharmonie. « Avec Pierre Henry, l’interprétation à la console conservait une part d’improvisation. Il avait envie au concert de remettre le musicien devant, après le travail très minutieux du studio : il préparait tout un plan d’interprétation, mais on voyait bien qu’il partait ailleurs, et qu’il en jubilait ! »
La magie du réel
On ne s’étonnera donc pas de la perpétuelle balance dans le travail de Thierry Balasse, entre la réflexion et l’improvisation, entre la rigueur quasi obsessionnelle du son et la liberté absolue de l’imaginaire. À première vue, une scène de la compagnie Inouïe ressemble à un capharnaüm de câbles et de machines – dont le fameux minimoog qu’il pratique depuis ses 14 ans – d’où surgit, paradoxe inextricable, une irrésistible sensualité. Pas de vocation documentaire donc dans ce Cosmos 1969, qui entrelace l’électroacoustique, l’acrobatie en apesanteur et la bande-son de cette année-là : Pink Floyd, David Bowie, King Crimson, les Beatles. « Je me suis pourtant avalé plein de bouquins sur la mission Apollo XI, j’avais envie d’en comprendre toutes les étapes. Ensuite, je m’en échappe : plus ça va, et plus le réel sur le plateau m’insupporte. »
Alors, devant nos sens émerveillés, Thierry l’enfant qui rêvait des étoiles rejoint Balasse le musicien qui se passionne toujours pour la science. « Rentrer dans la matière, c’est aborder la physique quantique, un univers où le dur disparaît et tout devient vibratoire. C’est un monde incroyable, bien plus magique que les supercheries des charlatans. Je n’ai pas d’autre message que d’essayer de faire que le public modifie un peu sa perception du monde. »
Paru dans la revue Vallée de la Culture – janvier 2018
Photo © Olivier Ravoire