Archives de catégorie : Musiques

Symphonique 2

© CATHERINE KOHLER


Orchestre symphonique de Mulhouse, direction Patrick Davin : César Franck, Le Chasseur mauditPhilippe Boesmans, Concerto pour violon et orchestreEugène Ysaÿe, Poème élégiaque pour violon et orchestre à cordesPaul Dukas, L’Apprenti sorcier.


Le conte teinté de fantastique serait-il, comme le sirop de Liège, une spécialité belge ? À goûter avec trois des compositeurs au programme.

Le Chasseur maudit de César Franck, célèbre Français néanmoins natif de Liège, entraîne au milieu des démons un chasseur qui aurait mieux fait de ne pas…

Ce sont ensuite des échanges à travers le temps entre deux compositeurs formés au même conservatoire de Liège, des correspondances autour d’un même instrument, le violon, une confrontation de langages d’une fin de siècle à l’autre : le Poème élégiaque d’Eugène Ysaÿe (vers 1895), lui-même violoniste et dédicataire de ce qui se faisait de mieux à l’époque en la matière, et le Concerto pour violon de Philippe Boesmans (1980), impressionnant d’émotions contrastées.

Quant au très – trop – célèbre Apprenti sorcier du français Paul Dukas, il n’est rien besoin d’en dire – sinon que son orchestre brillant et virtuose a beaucoup à gagner de sa séparation d’avec les images de Disney !


Plaquette de l’Orchestre symphonique de Mulhouse, saison 2013–2014.

 

 

Symphonique 1

© CATHERINE KOHLER


Orchestre symphonique de Mulhouse, direction Patrick Davin : Robert Schumann, Manfred ouverture, Concerto pour piano et orchestre – Felix Mendelssohn, Symphonie écossaise – Wolfgang Rihm, Spur.


Plutôt rose pourpre que fleur bleue, le romantisme a peu à voir avec la mièvrerie rougissante dont le mot a fini par être accablé. Concentré de passion, d’amour déchiré et de mort qui rôde, c’est un paysage de l’âme qui va de la nuit à la lumière, et retour.

L’ouverture de Manfred, de Schumann d’après Byron, court à l’abîme entre les textures d’ombre et les éclairs. Le drame littéraire romantique par excellence, exalté par le lyrisme de Schumann. Sur le versant lumineux, on entend la même passion dans Le Chant de l’aube, et dans ce Concerto pour piano, chef‑d’œuvre ni flambeur, ni austère, dont les thèmes nés à l’orchestre vous font bien augurer du jour à venir.

Pour sa Symphonie écossaise, l’ami Felix Mendelssohn, lui, traverse le continent et la mer avec les mêmes bagages, plein ouest vers les landes et les pierres, les atmosphères hantées et les orages qui claquent.

Quand soudain, au beau milieu de ce voyage d’ombre et de lumière, tonne Spur, la pièce pour orchestre de Wolfgang Rihm : une façon sans doute de faire sonner le même tonnerre un siècle et demi plus tard.


Plaquette de l’Orchestre symphonique de Mulhouse, saison 2013–2014.

Ibrahim Maalouf

À La Défense Jazz festival 2013, le jeune trompettiste vient jouer en quintet ses dernières compositions : Wind, sur scène entre les tours, ça souffle !

© Denis Rouvre Je n’ai pas d’autre moyen d’expression fiable que la musique. Elle m’aide à trouver un certain équilibre entre l’intériorité et la jubilation. J’ai une envie extrêmement puissante de vivre, de faire des choses, de rencontrer du monde, de voyager, mais parallèlement, j’ai une conscience très forte et absolue de la fragilité de nos vies et de nos êtres. C’est cette ambiguïté qui nourrit ma musique.”

Secret, Ibrahim Maalouf ? Oui, sans doute. Mais affable aussi, disert quand le sujet le passionne, pas ennemi à l’occasion de l’humour pince-sans-rire. Bref, un homme complexe. Et un musicien d’une singulière générosité. À trente-deux ans, le compositeur-trompettiste, premier prix du Conservatoire de Paris, lauréat de concours internationaux, enchaîne les collaborations. On pourrait en faire une litanie façon Vincent Delerm, avec qui il a d’ailleurs beaucoup travaillé. Au hasard des préférences de chacun : Lhasa de Sela, Bojan Z, Tigran Hamasyan, Oxmo Puccino, M, l’orchestre de chambre de Paris, Serge Teyssot-Gay, Sting, Amadou et Mariam…

Le point commun ? Cette trompette à quatre pistons qui lui permet de jouer les quarts de ton des musiques arabes traditionnelles – et des envolées contemporaines. « Comme si vous ajoutiez des touches supplémentaires entre les touches blanches et noires du piano. » Une invention de son père et mentor, Nassim Maalouf : « Cette trompette, c’est le fil conducteur, un vecteur de création formidable parce qu’il est unique. Forcément, cela stimule mon imaginaire. » Continuer la lecture de Ibrahim Maalouf

Vanessa Wagner, Études pour piano de Dusapin

© JB PELARDON

Dimanche matin, assis sur un gradin de l’amphithéâtre d’Arles, juste après le récital de Vanessa Wagner : les Études pour piano de Pascal Dusapin1.

Longtemps après encore, comme gorgé, engorgé de musique – le mot n’est pas très élégant mais c’est celui qui me vient en premier ; satiété, plénitude sont un peu pincés pour cette impression de gourmandise accomplie.

Une musique – composition et interprétation – d’espaces, de blocs et de mouvements, avec quelque chose parfois de ces rochers ronds immenses qu’on voit plantés dans la mer, quand l’eau y circule d’éclat en éclat. Une musique de grêle cascadant sur des ardoises glacées, qui fait sonner dans les basses une quelconque mémoire minérale.

Une musique de moments exacts, où l’oiseau est à fleur de navire sur l’horizon, tirant d’eau contre tirant d’aile.

Une musique de liberté, entre hasard et exploration : c’est bâti solide dans la matière sonore et soudain ça se délite et ça vibre dans ce qui n’est pas le silence, pas encore, ne l’est plus.

Une musique – écriture et jeu – qui va fouiller tellement loin dans les contrastes, ombre-lumière, frappe-résonance, ralenti-saccade, qu’elle en vient à faire bouger les lignes du temps. C’est une sensation tellement troublante, comme si l’on bousculait nos perspectives sur le réel – quelque chose de similaire se produit ainsi dans le dérèglement de l’implacable du temps à la fin de Faustus, the last night.

On revient du concert comme d’une navigation ou d’une randonnée : saturé, enrichi. Ce que l’on va chercher à retrouver en réécoutant l’enregistrement, et qu’on ne retrouvera pas, pas comme ça – mais on découvrira autre chose, comme sur les photos du compositeur, des lignes, des masses, des transparences et des grains2.

Au retour d’un concert, il n’y a pas tellement d’occasions pour l’auditeur de rendre un petit morceau d’émotion au compositeur et à l’interprète. En voilà donc des miettes, comme un remerciement éparpillé dans le vide.


  1. Chapelle du Méjan, Arles, le dimanche 30 septembre 2012 

  2. L’enregistrement des Études pour piano de Pascal Dusapin par Vanessa Wagner est accompagné d’un portfolio de photographies de Pascal Dusapin et d’un texte – comme toujours passionnant – de Michel Onfray : “une matérialisation de l’immatériel, une saisie pure de l’éphémère, un arrêt du temps…” [Musicales Actes Sud/Harmonia Mundi, 2012] 

Claire Désert

Fidèle du festival de l’Orangerie de Sceaux, la pianiste y donne cette saison1 un double concert en compagnie de jeunes musiciens qui lui ressemblent.

© OLIVIER RAVOIRE Une vie de musicien, c’est d’abord une vie laborieuse : cinq à six heures de piano tous les jours… Cela ressemble en fait à une vie de sportif. Quelque chose d’à la fois très régulier, parce qu’il y a une discipline qu’on apprend très jeune et qui est très formatrice, et d’absolument pas routinier, une vie plurielle, entre les voyages et la maison, travailler seule et avec d’autres, enseigner, être sur scène…

Qui s’intéresse à la flamboyance m’as-tu-vu du musicien soliste, port de tête arrogant et éclats d’ego montés en parure, ferait mieux d’aller écouter ailleurs : Claire Désert n’est pas vraiment de cette école-là… Elle ne brandit pas la vocation prodige de l’enfant d’Angoulême ni l’illumination irrésistible de la généalogie : « Mes parents m’ont mis au piano à cinq ans, pour la culture générale, sans que je le demande… Ce n’est pas très glamour mon histoire ! Mais la greffe a bien pris, j’ai l’impression d’avoir toujours suivi un chemin, comme si la musique avait tout le temps fait partie de ma vie jusqu’à ce que je me retrouve à quatorze ans au Conservatoire de Paris. Tout s’est enchaîné simplement, comme quoi on peut-être musicien sans être enfant de musicien ! »

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  1. Carte blanche à Claire Désert, dimanche 17 juillet 2011 au festival de l’Orangerie de Sceaux. Avec Guillaume Chilemme (violon), Nathanaël Gouin (piano), Victor Julien-Laferrière (violoncelle) et Pierre Génisson (clarinette).