Avant son concert au festival Chorus 2010, Rokia Traoré nous parlait de la scène, du public, et de l’Afrique. Une jeune grande dame, humble et fière.
Votre son a un peu changé depuis vos concerts de l’année dernière…
Le guitariste malien avec qui je jouais a malheureusement eu un accident. En attendant qu’il puisse remonter sur scène, la tournée devait continuer… J’ai préféré prendre la différence de style du nouveau guitariste, plus rock, comme un plus : alors on a réarrangé quelques petites choses pour nous adapter.
On sent le désir, le groupe et vous, d’être rassemblés avec le public autour de la même chose…
La scène est la meilleure façon de promouvoir une musique comme la nôtre, qui n’a pas tant que ça accès à la télé et aux radios en général. En tournée, je rencontre le public et c’est ce que j’aime avant tout. Du coup, je lui donne beaucoup, mais je lui prends beaucoup aussi… La scène, c’est tout un bonheur !
Votre album Tchamantché donne d’ailleurs l’impression d’une énergie puisée sur scène…
Contrairement à la plupart des artistes maliens, je n’ai pas été à l’école traditionnelle. Tout ce que j’ai appris, je l’ai appris sur scène et c’est une très bonne école. Pendant une tournée, je n’arrête pas d’apprendre, d’assimiler de nouvelles choses, vocalement, musicalement… J’ai d’ailleurs l’impression que plus j’avance, plus je me rends compte de tout ce que je ne sais pas faire et ça, c’est extraordinaire : la scène force à cette humilité qui me plaît bien, qui fait que je garde intact mon grand amour pour la musique. Contrairement au disque où l’on est au centre de tout, on fait sa promo, on parle de soi, on dit qu’on a « créé » une musique… On devient très grand tout d’un coup avec un disque… Ça a son charme aussi mais… je pense que la scène me motive beaucoup plus !
Pensez-vous qu’entre l’Europe et l’Afrique, il s’invente quelque chose de nouveau ?
Ça bouge depuis une quinzaine d’années. Mais j’ai l’impression que ce n’est pas aussi clair que ça : comme si, arrivé à un certain niveau, il fallait absolument que l’artiste africain passe par une collaboration avec un artiste européen pour que son talent soit reconnu et respecté… Même si cela s’explique tant l’industrie musicale est mal structurée en Afrique. Mais tant qu’on n’existera pas chez nous, que les couleurs musicales ne se décideront pas en Afrique, que le public africain ne décidera pas de ce qu’il aime ou pas, la situation ne changera pas.
C’est le sens de votre chanson Dounia sur la fierté d’être Africain…
Pour être fier de sa culture, il faut la connaître… Or, il faut dire ce qui est : les meilleurs artistes, les cinéastes, les écrivains, les plasticiens, tout ce qu’il y a de bon dans la culture africaine existe plus en Europe qu’en Afrique… C’est très difficile de trouver des solutions tant il y a chez nous de priorités vitales. Mais beaucoup d’artistes africains, de sportifs également, reviennent lancer des choses chez eux. J’ai créé au Mali une fondation, Passerelle, pour donner l’opportunité à des jeunes d’entamer une carrière professionnelle dans la musique. Cela fait partie de mes objectifs. Quand je suis crevée, je pense à tout ce que je peux faire en travaillant et en gagnant de l’argent… Ces gamins le méritent, plutôt que d’aller périr en mer parce qu’ils n’ont pas de perspectives. J’ai donné avec eux les meilleurs cours de chant de ma vie, et du coup eux me donnent de l’énergie !
Site festival Chorus 2010