Dimanche matin, assis sur un gradin de l’amphithéâtre d’Arles, juste après le récital de Vanessa Wagner : les Études pour piano de Pascal Dusapin1.
Longtemps après encore, comme gorgé, engorgé de musique – le mot n’est pas très élégant mais c’est celui qui me vient en premier ; satiété, plénitude sont un peu pincés pour cette impression de gourmandise accomplie.
Une musique – composition et interprétation – d’espaces, de blocs et de mouvements, avec quelque chose parfois de ces rochers ronds immenses qu’on voit plantés dans la mer, quand l’eau y circule d’éclat en éclat. Une musique de grêle cascadant sur des ardoises glacées, qui fait sonner dans les basses une quelconque mémoire minérale.
Une musique de moments exacts, où l’oiseau est à fleur de navire sur l’horizon, tirant d’eau contre tirant d’aile.
Une musique de liberté, entre hasard et exploration : c’est bâti solide dans la matière sonore et soudain ça se délite et ça vibre dans ce qui n’est pas le silence, pas encore, ne l’est plus.
Une musique – écriture et jeu – qui va fouiller tellement loin dans les contrastes, ombre-lumière, frappe-résonance, ralenti-saccade, qu’elle en vient à faire bouger les lignes du temps. C’est une sensation tellement troublante, comme si l’on bousculait nos perspectives sur le réel – quelque chose de similaire se produit ainsi dans le dérèglement de l’implacable du temps à la fin de Faustus, the last night.
On revient du concert comme d’une navigation ou d’une randonnée : saturé, enrichi. Ce que l’on va chercher à retrouver en réécoutant l’enregistrement, et qu’on ne retrouvera pas, pas comme ça – mais on découvrira autre chose, comme sur les photos du compositeur, des lignes, des masses, des transparences et des grains2.
Au retour d’un concert, il n’y a pas tellement d’occasions pour l’auditeur de rendre un petit morceau d’émotion au compositeur et à l’interprète. En voilà donc des miettes, comme un remerciement éparpillé dans le vide.
Chapelle du Méjan, Arles, le dimanche 30 septembre 2012 ↩
L’enregistrement des Études pour piano de Pascal Dusapin par Vanessa Wagner est accompagné d’un portfolio de photographies de Pascal Dusapin et d’un texte – comme toujours passionnant – de Michel Onfray : “une matérialisation de l’immatériel, une saisie pure de l’éphémère, un arrêt du temps…” [Musicales Actes Sud/Harmonia Mundi, 2012] ↩