J’aime la salle de spectacle, les lumières, les sièges, le rouge. Je m’y sens bien, c’est un endroit où l’on vit un peu mieux ensemble, un peu plus fort, un peu moins con. Avant.
King Crimson, cet automne, dans la lumière cramoisie de l’Oympia1. Ils sont sept, pas vraiment des corbeaux de l’année, mais le plaisir manifeste de se retrouver, jouer ensemble, faire du bruit ensemble, beaucoup, pensez, sept dont trois batteurs, ça multiplie les double-croches et les décibels. Rafales et déflagrations n’étaient encore que des questions de guitares et de percussions. Dans la salle, le plaisir de partager ça, eux, nous, sur deux, trois générations. Le morceau dont je voulais me souvenir, c’était Starless. Avec sa mélodie qui fleure le fané des seventies, et cette très longue ascension électrique, montée vers l’orgasme libérateur ou frustration sado-maso à la guitare – les deux sans doute, c’est tout Robert Fripp…
Depuis, à quelques semaines et quelques centaines de mètres de là, certains peut-être les mêmes dans la salle, c’est brutalement devenu One More Red Nightmare.
Remontent alors de je ne sais quel tiroir trois vers minables, frappés sur du mauvais papier machine : « Nous n’aurons plus jamais d’année de paix/Plus jamais d’heure sans que quelqu’un meure/Dans un quelque part lointain qu’on oublie ».
Le lointain est arrivé, on ne peut pas le manquer, il sent l’abattoir.
C’est pourtant de Starless dont il faut se souvenir : “starless and bible-black”, le refrain ira bien au teint des temps à venir, le climax servira de lumière au bout du quotidien. Et puis, trois batteurs, ça couvrira les saloperies qu’on n’a pas fini d’entendre.
Starless et One More Red Nightmare paraissent en 1974 dans l’album Red de King Crimson. Le précédent s’intitulait déjà Starless and Bible-Black (sans étoiles et noir de bible), citation d’Under Milk Wood (Au bois lacté) du poète Dylan Thomas.
The Elements of King Crimson, Olympia, Paris, 22 septembre 2015 ↩