La seconde du temps universel
Vous trouvez que c’est bien assez compliqué comme ça ? D’accord, on vous épargnera alors la définition exacte de la seconde, telle que définie depuis 1968 relativement aux radiations de l’atome de césium 133 ! Mais n’allez pas croire pour autant que l’histoire du temps est un long fleuve tranquille… Au contraire : nous voilà entrés, presque à notre insu, dans un territoire inimaginable, où la seconde est une question de vie ou de mort, et l’objet de luttes internationales qu’on pensait révolues. Attention, vertige !
« Le temps est la référence pour toutes les activités humaines. Ici, nous calculons un temps universel (UTC) qui n’est qu’une échelle de papier ! D’ailleurs, je ne rentre jamais dans le laboratoire… » déclare pince-sans-rire Wlodzimierz Lewandowski, du département du Temps. Il s’agit donc de mesurer et de corriger en permanence les quatre cents et quelques horloges physiques, la plupart atomiques, qui fonctionnent dans les laboratoires nationaux partout dans le monde, afin de réaliser une synchronisation mondiale. Bref : être les maîtres du temps, avec une précision de 2 milliardièmes de seconde !
La chose aurait pu en rester là s’il n’y avait les évolutions de la technologie, le poids des traditions millénaires et la vivacité des susceptibilités nationales. Et nous voici devant la question de la seconde intercalaire – dont on a pu entendre parler cet hiver lors de l’assemblée des radiocommunications qui s’est tenue à Genève et sur laquelle se déchire la communauté scientifique internationale comme jamais ou presque depuis Darwin…
Petit retour historique : depuis la nuit des temps – la formule est un peu osée – la mesure du temps est solaire, synchronisée avec la rotation de la Terre. Or, on sait maintenant que ce mouvement n’est pas régulier. Le monde est donc passé – la rupture historique remonte à la fin des années cinquante – d’une mesure du temps astronomique, qui subit des fluctuations, à une mesure du temps atomique, qui est immuable. Pour synchroniser les deux, on ajoute à l’UTC une seconde intercalaire, environ une fois tous les deux ans et à la main… Autant dire que cette manœuvre perturbe les infrastructures d’aujourd’hui, fondées sur les satellites, la navigation aérienne, les flux d’informations continus. Tellement, que le système GPS américain a choisi, le 1er janvier 1980, de se caler à zéro sur l’UTC du jour et d’utiliser depuis le temps atomique international, une échelle de calcul rigoureusement plate. « La multiplication des échelles de temps est désormais un danger absolu, insiste Wlodzimierz Lewandowski. 15 secondes de décalage entre l’UTC et le GPS, 34 secondes entre l’UTC et le temps atomique international… C’est une horreur : un jour, quelqu’un se trompera d’échelle en appuyant sur le mauvais bouton et vous imaginez ce qui se passera… »
Tout l’univers scientifique est-il conquis ? Non, quelques villages d’irréductibles résistent au mouvement ; au nom par exemple d’un temps autrefois universel calé sur le méridien de Greenwich ; ou d’une tradition astronomique millénaire dans un pays qui a pourtant choisi de placer artificiellement son immense territoire dans le même fuseau horaire, à savoir trois heures de décalage permanent avec le Soleil. Ceci dit bien sûr sans vouloir froisser nos amis anglais et chinois… Et Wlodzimierz Lewandowski de rajouter, l’œil malicieux : « Il faut en quelque sorte sortir de la tour de Babel des échelles du temps… »
Paru dans HDS.mag n° 23, mai-juin 2012.