La masse du kilogramme
L’histoire du kilogramme ressemble à celle du mètre. À la fin du XVIIIe siècle, l’unité de masse a été définie comme celle d’un décimètre cube – un litre – d’eau à la température de 4° C. Un choix qui n’en facilitait pas l’usage ni la conservation – bref, il était impossible, si l’on ose dire, de graver ce kilo dans le marbre ! Grâce entre autres aux travaux de Lavoisier – qui ne put en tirer gloire puisqu’il finit sur l’échafaud en 1794 –, un premier kilogramme « solide » est déposé en 1799 aux Archives, en même temps que son confrère le mètre. Le kilogramme étalon actuel date de 1889 : un cylindre en alliage, 90 % de platine et 10 % d’iridium, de 39,17 mm de hauteur comme de diamètre, aux bords biseautés et à la surface impeccablement polie. Voici le prototype international du kilogramme (IPK), qui pèse évidemment son kilo et pas loin de 50 000 €… Conservé dans un coffre-fort, sous une triple cloche de verre, on ne le sort jamais, sauf lors des rares procédures d’étalonnage. Quant à la définition de l’unité, elle est unique dans la science moderne : « le kilogramme est l’unité de masse ; il est égal à la masse du prototype international du kilogramme ». Un peu l’histoire de serpent qui se mord la queue…
Le BIPM travaille donc à l’amélioration de cette définition depuis plusieurs décennies, en faisant appel à deux constantes de la « nature » – celle d’Avogadro et celle de Planck, dans des formules qui en appellent à la physique quantique, tirent des lignes entre le macroscopique et le microscopique, défient l’imaginaire – comme compter par exemple le nombre d’atomes dans une sphère de silicium pur – et dépassent l’entendement, du moins le nôtre. « On arrive très près du bout du tunnel, se réjouit Alain Picard, le directeur du département des Masses, encore quelques années et l’on parviendra à redéfinir le kilogramme en fonction de constantes fondamentales de la nature. »
Dans les sous-sols de l’observatoire, on entre dans un domaine dont nul ne peut avoir idée : celui des chasseurs du millionième de gramme. « Ici, en métrologie, seul compte ce qu’il y a loin derrière la virgule… » Et pour ces chasseurs-là, tout importe, même l’infime le plus impalpable : l’humidité de l’air, le taux de CO2, la température, le grain de poussière… Car ce qui compte avant tout, c’est de ramener l’incertitude à l’acceptable – ce qui pourrait bien être une philosophie de vie. Et puis il y a les choses auxquelles le profane ébahi ne pense pas et qui le poussent à remettre en question l’affaire du kilo de plumes et du kilo de plomb : « Plus un volume est grand, explique Alain Picard, plus il faut corriger la poussée de l’air, selon le principe d’Archimède. De même qu’il faut tenir compte de la position de son centre de gravité par rapport au centre de la Terre… En raison de l’attraction terrestre, un centimètre de différence est égal à 3 microgrammes de masse. »