Je me souviens aujourd’hui de la grande Marée 5, vue la première fois accrochée au mur blanc de l’atelier, voisinant avec l’étagère à pigments, on aurait dit une cascade d’arc-en-ciel. Sous les yeux, longtemps, c’est ainsi qu’on devrait toujours regarder la peinture : l’aborder, s’y arrêter, y descendre ou y voler, c’est selon nos penchants ; lâcher petit à petit tout ce qui nous encombre, s’ancrer, s’y abolir ou y danser, c’est encore selon.
Quand elle peint, Raphaëlle Pia gîte en permanence sur la houle du temps. Entre la mémoire de ce qu’elle a vu, entendu, ressenti là-bas, souvenir de l’énergie et de la couleur de ce qui la travaillait au dedans à ce moment-là ; et l’architecture de ce qu’elle met en place maintenant sur la surface de sa toile, les rythmes, les masses, les contrastes, ce qu’elle invente ici, avec ce que cela comporte d’emballements, de résistance, de renoncements et d’accidents, qui travaillent le ventre de la même manière.
Faire une peinture, c’est peut-être naviguer bipolaire entre ces deux moments. La réussir, nous embarquer pour un voyage similaire, nous amener à lire d’amer en amer nos errances intérieures jusqu’à relever le même filet, nous conduire vers des émotions parallèles, entre l’exact maintenant et cet autrefois diffus qu’on a peut-être connu, du moins rêvé.
C’est nous emporter sur les marées du temps.
Catalogue d’exposition : Raphaëlle Pia, Dans les marées du temps, Musée Opale-Sud, Berck-sur-Mer, du 11 avril au 14 septembre 2015.