Dans la maison des marées
Les toiles de la baie de Somme, c’était l’étale, la contemplation du ciel Narcisse au miroir des bassins, la poussière de sel au rebord de la flaque. Quelque chose comme un gros plan sur ce qui reste, après ; après que la mer s’est retirée, après que le vent est tombé, après que le nuage a levé le mystère. Après – ou avant : sédimentation ou frémissement, les yeux à ras de sablon.
En baie d’Authie, c’est la marée qui a le dernier mot – et le premier murmure aussi.
Tout commence sur le vif, sur le motif comme disaient ceux d’autrefois, avec une aquarelle jetée sur le papier le front dans le vent. Plages à coquillages, oiseaux, estivants, pêcheurs : ce pourrait être seulement pittoresque, et pourtant, dès les premières gouttes, le coup de pinceau est vif, il rythme déjà des lignes, des points, des griffes, des franges et des piqûres. Trempé dans le réel – couleurs qui s’enfuient, lumières qui surprennent – il éclabousse déjà le travail de l’atelier ; saisissant l’esprit du lieu – les odeurs d’iode et de varech, le fouet des sables et l’énergie des rouleaux – il est déjà l’ustensile de la mémoire à venir dans le studio.
Tout commence donc dehors, mais rien ne s’y achève. Les Marées, Rives et Effilochages de Raphaële Pia sont des peintures de nature – là où elle s’empare – et d’atelier – là où elle restitue. Et c’est dans l’atelier, dans la « maison des marées » pour reprendre l’expression du poète Kenneth White, c’est-à-dire l’espace intérieur ouvert, que cela se passe ; que quelque chose s’invente qui figure et ne figure pas, qui regarde sans imiter, qui transmet sans reproduire ; là qu’on entend une pensée s’abstraire du réel pour en exprimer l’essentiel.
Les Marées sur soie regardent haut, respirent fort, embrassent large. Comme une petite usine marémotrice de la peinture et du regard qui turbinerait à grande échelle. Ce n’est pas une question de taille du tableau, mais d’état de la surface, de son inclination – et selon son inclinaison – à laisser faire, laisser aller et ne déposer que peu, ne nous laisser de trace que de l’éphémère, du fluide, de l’esprit. Comme les marées qui viennent et s’en viennent, emportant chaque fois ce qu’elles avaient apporté, pour ne nous laisser à voir que l’écume de l’eau et le cristal du sable. Du presque rien qui nous va bien, de la nuance, de la mémoire d’eau salée, et c’est bien suffisant.