Une mémoire sonore, des émotions physiques
En 2012, à la Maison de la musique de Nanterre, Thierry Balasse et sa compagnie Inouïe créaient La Face cachée de la Lune, un spectacle-concert autour de l’album Dark Side of the Moon des Pink Floyd, intégralement réinterprété sur scène. En 2018, avec Cosmos 1969, Thierry Balasse s’intéresse à la mission Apollo XI, au premier pas d’Armstrong sur la Lune. Mais à sa manière, c’est-à-dire ailleurs et autrement. Pas de récit didactique, pas d’images d’archive, à peine quelques voix d’époque – mais une mémoire sonore, des émotions physiques, un peu quantiques et très bouleversantes.
“Ground control to Major Tom”
(Space Oddity, David Bowie)
Là haut, en combinaison de vol et bonnet “Snoopy”, Armstrong s’élève, enroule, déroule son corps le long d’une orbite imaginaire vers la Lune. Ses mouvements sont ralentis, déliés, comme en apesanteur malgré la gravité qui d’ordinaire nous plombe. Mais lui – ou plutôt elle car Armstrong est une femme – c’est autre chose : à mains nues, rien ne semble pouvoir affecter sa liberté de mouvement au-dessus de la scène.
Dessous, dans le costume ordinaire de la Nasa des années soixante – chemise blanche, stylos agrafés, cravate, pantalons et souliers vernis noirs – le Flight Director établit la communication entre ses synthétiseurs et la femme, là-haut, si puissante et si fragile dans les lumières d’aurore boréale.
Le vertige a ceci de fascinant qu’il modifie nos perceptions : le son, les lumières, le déploiement du corps de l’astronaute au-dessus de la scène sont en ce sens vertigineux.
“One small step for man, one giant leap for mankind”
(Neil Armstrong, 20 juillet 1969)
Spectacle-concert pour musiciens, artiste en suspension et émotions immersives, Cosmos 1969 propose une évocation poétique de la mission Apollo XI.
Sans référence explicite, ni récit documentaire, ni vidéo d’époque : à chacun de construire ses propres images mentales d’un moment qui fait aujourd’hui partie de l’histoire de l’humanité.
Dans une progression musicale rigoureusement construite, du compte à rebours initial au retour sur Terre, au retour sur mer ; animée par les deux synthétiseurs qui ont révolutionné la pop (EMS VCS3 et Minimoog) et jouée live par les six musiciens et chanteuses.
La bande-son de ces années-là (Pink Floyd, David Bowie, King Crimson, les Beatles) intègre un morceau de Purcell et une composition électroacoustique de Thierry Balasse.
Cantique quantique
(Quanta Canta, Thierry Balasse)
Quanta Canta, la composition originale pour synthétiseurs et système de spatialisation, repose sur des conversations entre Thierry Balasse et des physiciens à propos de la matière et des ondes… Mais on peut oublier cela pour s’immerger dans le déferlement des matières et des pulsations sonores qui transforment la salle en accélérateur de particules et nous propulsent à travers les textures lumineuses de l’espace. Soudain, une voix juvénile affûtée comme un laser chante O Solitude de Purcell. Assise sur sa ligne, dans l’inquiétude du vide et les souvenirs d’enfance, l’astronaute ressemble à un Pierrot lunaire.
“Yes I fear tomorrow, I’ll be crying”
(Epitaph, King Crimson)
Les morceaux réinterprétés sur scène appartiennent à la légende de la pop music, en orbite autour de l’année 1969. Ils rythment chaque étape de la mission.
— Set the Control for the Heart of the Sun (Pink Floyd) : préparatifs
— Space Oddity (David Bowie) : décollage
— Astronomy Domine (Pink Floyd) : vol spatial
— Echoes (Pink Floyd) : alunissage et premier pas sur la Lune
— Epitaph (King Crimson) : retour vers la Terre
— Because (Beatles) : amerrissage
Ce ne sont pas des reprises mais une intense expérience de jouissance sonore partagée par les musiciens et les chanteuses – parce que oui, comme l’astronaute, les voix sont femmes. On n’avait jamais entendu ces musiques-ci jouées comme ça ! Enrichies de strates virtuoses, gorgées de saveurs, de sel et parfois de larmes.
Cosmos 1969, voyage sonore dans nos mémoires intimes, traverse tout le spectre des émotions. C’est un chemin qui emmène Armstrong de l’aventure au danger, de l’accomplissement à la nostalgie : c’est le parcours profondément humain qui nous conduit de l’avenir au passé.
Quand le voyage s’achèvera sur les trois voix nues chantant la beauté d’un monde vu autrement, combien d’entre nous auront les yeux mouillés ?
“Because the sky is blue, it makes me cry…”
(Because, The Beatles)
Musique originale : Thierry Balasse
Musique mémorielle : Pink Floyd + The Beatles + David Bowie + King Crimson
Scénographie et lumières : Yves Godin
Écriture aérienne : Chloé MogliaCourbe suspendue : Chloé Moglia / Fanny Austry
Chant : Élisabeth Gilly
Basse et chant : Élise Blanchard
Batterie : Éric Groleau
Guitare : Éric Lohrer
Synthétiseurs, piano électrique et chant : Cécile Maisonhaute
Synthétiseurs et électroacoustique : Thierry BalasseCréation à la Maison de la musique de Nanterre en janvier 2018
Photos © Patrick Berger