Archives par mot-clé : Théâtre

On ne devrait jamais quitter Limoges

© BRIGITTE ENGUERAND

À Châteauvallon1, rencontre entre la jeunesse savante et la maturité fougueuse : Clément Hervieu-Léger et William Christie inventent un nouveau Monsieur de Pourceaugnac. Comme le disait un voisin de fauteuil : poilant !

Grands volumes verticaux vert-de-gris, façades d’immeubles patinées, nous sommes sans doute à Paris dans les années cinquante, les années soixante – ce pourrait tout aussi bien être Berlin, ou Naples. Une grande ville naguère, une capitale vaguement étrangère, hostile peut-être aux provinciaux qui d’aventure s’y aventureraient. Les silhouettes qui passent et repassent sont bien d’époque : Nérine, brune au sourire craquant, aurait sa place dans Mad Men ; Sbrigani, celle de de Niro chez Scorsese. À l’angle d’un pignon, la troupe des musiciens s’est reconstituée autour d’un clavecin orné, copie d’une autre époque. Contraste : la musique et les chants, du Lully pur sucre, n’ont rien de rock’n’roll – à la lettre s’entend, dans l’esprit c’est une autre affaire.

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  1. Monsieur de Pourceaugnac, Châteauvallon, du 27 au 30 janvier 2016 

C’est un malheur du temps…

Philippe Girard (le roi Lear)
Le roi Lear (Philippe Girard)

Olivier Py, acteur, auteur, chanteur, poète, traducteur, metteur en scène, bref homme de théâtre total, monte le Roi Lear de William Shakespeare.

La vision qu’il en offrait cet été au public du Festival d’Avignon, dont il est le directeur, place le langage au centre de tout, des illuminations comme des catastrophes. Il y a quinze ans, dans l’Épître aux jeunes acteurs pour que soit rendue la parole à la parole, Olivier Py écrivait : « Un monde où les mots ne valent plus rien, ne valent plus les trois sous de salive humaine qui les portent, un monde où l’obsession du mensonge est souveraine est un monde de fous. » Continuer la lecture de C’est un malheur du temps…

Les histoires d’amour…

© MARC DOMAGE… on le sait, finissent mal, en général. Enfin surtout, elles finissent, et c’est ainsi que Pascal Rambert a voulu à distance proposer une suite à son Début de l’A. créé en 2005 à la Comédie-Française. Clôture de l’amour a été écrit pour les voix et les corps de deux fidèles de Rambert : Audrey Bonnet et Stanislas Nordey. Succès immédiat pour ce « chant de la séparation », donné en création au festival d’Avignon en 2011. Aujourd’hui, face à Audrey, l’auteur lui-même reprend le rôle de Stan. Et le charme comme le venin sont toujours vifs : parce qu’il y a dans cette écriture une espèce d’autobiographie du partage qui fait sonner les mots comme autant de petits morceaux de chacun de nous.


Paru dans HDS.mag n° 39, janvier-février 2015.

Salon littéraire

Comment vous racontez la partie

Cela pourrait être vain : un rendez-vous littéraire dans une salle polyvalente au fin fond de nulle part, où l’écrivain vedette – secrète et attachante Zabou Breitman – est invitée par l’animateur de médiathèque maladroit et creux – Romain Cottard qui n’est ni l’un ni l’autre – à s’entretenir en public avec la critique littéraire odieuse et pédante – formidable Dominique Reymond qui finirait par faire croire qu’elle l’est vraiment – à propos de son dernier livre. En attendant la rencontre avec le maire, truculent politique à la langue de bois fleurie – André Marcon, truculent comédien au verbe de même.

Comment vous racontez la partie pourrait être une pièce cruelle, elle l’est un peu d’ailleurs, entre piques, non-dits, crises existentielles, jalousies, egos boursouflés à mesure que s’effilochent les amours. Elle aurait pu être désespérante… Yasmina Reza transmet tout cela – et beaucoup d’autres choses : de la nostalgie sourde, des rêves qui se méritent, des faux-semblants, un regard lucide sur la création, ceux qui en vivent, ceux qui en rêvent, ceux qui voudraient bien. Et par la grâce du quatuor d’acteurs et d’une seconde partie revigorante de drôlerie, de vie et de sensibilité, c’est également, une fois les conventions diluées dans le vin d’honneur, une ode discrète au genre humain contre lequel, tout compte fait, il n’y a peut-être pas de quoi se fâcher.


Paru dans HDS.mag n° 38, novembre-décembre 2014.

Game of Thrones

Henry VIThomas Jolly et la compagnie La Piccola Familia poursuivent leur aventure hors norme : donner sur scène l’intégralité du Henry VI de Shakespeare1. Au programme de cet automne, le second cycle composé des troisième et quatrième épisodes.

Une tranche de guerre civile au beau milieu de la guerre de Cent Ans qui n’en finit pas de finir. L’histoire furieuse et bruyante d’un monde qui s’extirpe dans le sang d’un âge médiéval dont la mémoire disparaît, pour entrer dans la modernité de ce qu’on appellera la Renaissance. Ce qui ne signifie pas forcément que l’on va des ténèbres vers la lumière… Une histoire de roi qui commence, mal, sous la malédiction de son prédécesseur Richard II : « des armées de fléaux (…) frapperont vos enfants encore à naître et même à concevoir… » et qui ne finit pas bien, avec son assassinat par son successeur, futur Richard III.

Metteur en scène, scénographe, acteur, Thomas Jolly a la trentaine adolescente, il met en scène cette folie Shakespeare comme une intégrale de Game of Thrones, en « plus alerte, plus conscient, plus éveillé ». On rit, on crie, on s’effraie, on ne lâche rien durant ces huit heures de spectacle – rien que pour le second cycle, qu’on peut « traverser » également en deux fois.

Écrit au XVIe siècle, contant le désastre du XVe, le Henry VI selon Thomas Jolly est à la démesure de notre époque, « nous qui crions notre désir de bousculer un présent, de le croire plus grand, moins lâche, moins injuste et plus libre ».


Paru dans HDS.mag n° 38, novembre-décembre 2014.


  1. Sceaux, Les Gémeaux, du 3 au 14 décembre 2014