La soie et les marées

Raphaëlle Pia Marée 4, 2014
Marée 4, 2014, acrylique sur soie, 140 x 140 cm
La route de la soie

Peinture sur soie… L’expression vous a tout de suite des préjugés de kermesse. La peinture sur soie et sur rayonne de Raphaëlle Pia est un renversement de l’idée reçue, la conversion radicale du kitch de paréo. Il y a toujours eu chez elle, comme chez beaucoup qu’elle admire, le renouvellement de la peinture par l’exploration d’autres surfaces et l’exploitation d’outils inusités. Par quel chemin en est-elle arrivée là, se demande-t-on ?

On pourrait essayer le symbolique, dire le lisse du tissage comme le lisse du sable tendu sous la vague qui se retire, les chemins du voyage réinventés, pourquoi pas la poésie d’Extrême-Orient… On ferait mieux d’être pragmatique : la soie, Raphaëlle Pia l’a choisie comme le support le plus léger qui soit, pour servir l’accrochage qu’elle avait en tête. Que la disposition des choses ait changé depuis n’est qu’un éclat de rire du destin ; il nous reste la manifestation heureuse de la contrainte créative.

Parce qu’avec la soie, on découvre la transparence. Regarder ici aujourd’hui ces peintures, c’est bénéficier du double privilège de Janus : face, le devant, le spectacle qu’on nous offre ; pile, le revers, l’autre côté des choses où rien n’est vraiment comme on s’y attend. Explorer les traces du travail dans la transparence, c’est jouer avec Alice de l’autre côté du miroir. Les clartés éclatantes, peintes plus épaisses, deviennent des pénombres grises ; les terres denses premières coulées profitent de la lumière traversante et sont comme illuminées de l’intérieur. En contre-jour, le temps se retourne, c’est la renverse des marées : on ne regarde pas seulement une toile, mais son élaboration, des premiers lavis aux derniers rehauts, comme racontée à l’envers. Une fois les soies accrochées, translucides, c’est soudain l’espace qui se propage. Il y a l’image peinte, mémoire d’un lieu, d’un moment, ailleurs – et tout ce qu’il y a autour, à travers, ici, les murs, les fenêtres, les gens, le murmure aussi qui n’est pas celui des marées mais qui vient à se brouiller avec lui.

Toute peinture accrochée n’est-elle d’ailleurs pas aussi cela : la matérialisation des circuits de la mémoire.