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Paysages sonores

Ravel Landscapes
Ravel Landscapes © QUAYOLA & SINIGAGLIA

Comment présenter ces deux programmes proposés par la pianiste Vanessa Wagner ? Dire que ce sont des habillages numériques – visuel ou sonore – sur des œuvres du répertoire ferait fuir à la fois les classiques et les modernes… Alors que, justement, les dispositifs imaginés ont tout pour convaincre – et enthousiasmer – des publics qui en général ne se croisent pas au concert. Du crossover comme on dit aujourd’hui, la rencontre transversale entre ceux qui croient au numérique et ceux qui n’y croient pas…

Ravel Landscapes, en collaboration avec les vidéastes Quayola et Natan Sinigaglia, ce sont des paysages de synthèse projetés sur grand écran, déclenchés, animés, modifiés en direct par le jeu de la pianiste. Particules, cristaux, éclats, mouvement, lumière : on n’assiste plus à un concert, mais on fait un voyage à travers des sensations presque physiques et réellement jubilatoires. Que les puristes se rassurent, cela ne remplace pas les paysages intérieurs d’une écoute aveugle – mais ce n’est pas fait pour : c’est différent, c’est inventif, c’est beau.

vanessa_wagner_murcofBeyond my piano, rencontre entre Vanessa Wagner, le musicien « futuriste » mexicain Murcof, et des œuvres de Satie, Ravel, Pärt ou Adams, est également une extension du domaine sonore. Strates, métamorphoses, liberté de réinterprétation : les paysages sont inédits, le dialogue permanent entre le symbole d’une histoire de la musique classique et les machines numériques jouées comme de vrais instruments.

Puisqu’une musicienne aussi intègre, imaginative et sensible que Vanessa Wagner s’acoquine avec la modernité d’aujourd’hui, tout n’est peut-être pas finalement perdu !


Paru dans HDS.mag n° 38, novembre-décembre 2014.

Vanessa Wagner, Études pour piano de Dusapin

© JB PELARDON

Dimanche matin, assis sur un gradin de l’amphithéâtre d’Arles, juste après le récital de Vanessa Wagner : les Études pour piano de Pascal Dusapin1.

Longtemps après encore, comme gorgé, engorgé de musique – le mot n’est pas très élégant mais c’est celui qui me vient en premier ; satiété, plénitude sont un peu pincés pour cette impression de gourmandise accomplie.

Une musique – composition et interprétation – d’espaces, de blocs et de mouvements, avec quelque chose parfois de ces rochers ronds immenses qu’on voit plantés dans la mer, quand l’eau y circule d’éclat en éclat. Une musique de grêle cascadant sur des ardoises glacées, qui fait sonner dans les basses une quelconque mémoire minérale.

Une musique de moments exacts, où l’oiseau est à fleur de navire sur l’horizon, tirant d’eau contre tirant d’aile.

Une musique de liberté, entre hasard et exploration : c’est bâti solide dans la matière sonore et soudain ça se délite et ça vibre dans ce qui n’est pas le silence, pas encore, ne l’est plus.

Une musique – écriture et jeu – qui va fouiller tellement loin dans les contrastes, ombre-lumière, frappe-résonance, ralenti-saccade, qu’elle en vient à faire bouger les lignes du temps. C’est une sensation tellement troublante, comme si l’on bousculait nos perspectives sur le réel – quelque chose de similaire se produit ainsi dans le dérèglement de l’implacable du temps à la fin de Faustus, the last night.

On revient du concert comme d’une navigation ou d’une randonnée : saturé, enrichi. Ce que l’on va chercher à retrouver en réécoutant l’enregistrement, et qu’on ne retrouvera pas, pas comme ça – mais on découvrira autre chose, comme sur les photos du compositeur, des lignes, des masses, des transparences et des grains2.

Au retour d’un concert, il n’y a pas tellement d’occasions pour l’auditeur de rendre un petit morceau d’émotion au compositeur et à l’interprète. En voilà donc des miettes, comme un remerciement éparpillé dans le vide.


  1. Chapelle du Méjan, Arles, le dimanche 30 septembre 2012 

  2. L’enregistrement des Études pour piano de Pascal Dusapin par Vanessa Wagner est accompagné d’un portfolio de photographies de Pascal Dusapin et d’un texte – comme toujours passionnant – de Michel Onfray : “une matérialisation de l’immatériel, une saisie pure de l’éphémère, un arrêt du temps…” [Musicales Actes Sud/Harmonia Mundi, 2012] 

Claire Désert

Fidèle du festival de l’Orangerie de Sceaux, la pianiste y donne cette saison1 un double concert en compagnie de jeunes musiciens qui lui ressemblent.

© OLIVIER RAVOIRE Une vie de musicien, c’est d’abord une vie laborieuse : cinq à six heures de piano tous les jours… Cela ressemble en fait à une vie de sportif. Quelque chose d’à la fois très régulier, parce qu’il y a une discipline qu’on apprend très jeune et qui est très formatrice, et d’absolument pas routinier, une vie plurielle, entre les voyages et la maison, travailler seule et avec d’autres, enseigner, être sur scène…

Qui s’intéresse à la flamboyance m’as-tu-vu du musicien soliste, port de tête arrogant et éclats d’ego montés en parure, ferait mieux d’aller écouter ailleurs : Claire Désert n’est pas vraiment de cette école-là… Elle ne brandit pas la vocation prodige de l’enfant d’Angoulême ni l’illumination irrésistible de la généalogie : « Mes parents m’ont mis au piano à cinq ans, pour la culture générale, sans que je le demande… Ce n’est pas très glamour mon histoire ! Mais la greffe a bien pris, j’ai l’impression d’avoir toujours suivi un chemin, comme si la musique avait tout le temps fait partie de ma vie jusqu’à ce que je me retrouve à quatorze ans au Conservatoire de Paris. Tout s’est enchaîné simplement, comme quoi on peut-être musicien sans être enfant de musicien ! »

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  1. Carte blanche à Claire Désert, dimanche 17 juillet 2011 au festival de l’Orangerie de Sceaux. Avec Guillaume Chilemme (violon), Nathanaël Gouin (piano), Victor Julien-Laferrière (violoncelle) et Pierre Génisson (clarinette).