Claire Désert

Fidèle du festival de l’Orangerie de Sceaux, la pianiste y donne cette saison1 un double concert en compagnie de jeunes musiciens qui lui ressemblent.

© OLIVIER RAVOIRE Une vie de musicien, c’est d’abord une vie laborieuse : cinq à six heures de piano tous les jours… Cela ressemble en fait à une vie de sportif. Quelque chose d’à la fois très régulier, parce qu’il y a une discipline qu’on apprend très jeune et qui est très formatrice, et d’absolument pas routinier, une vie plurielle, entre les voyages et la maison, travailler seule et avec d’autres, enseigner, être sur scène…

Qui s’intéresse à la flamboyance m’as-tu-vu du musicien soliste, port de tête arrogant et éclats d’ego montés en parure, ferait mieux d’aller écouter ailleurs : Claire Désert n’est pas vraiment de cette école-là… Elle ne brandit pas la vocation prodige de l’enfant d’Angoulême ni l’illumination irrésistible de la généalogie : « Mes parents m’ont mis au piano à cinq ans, pour la culture générale, sans que je le demande… Ce n’est pas très glamour mon histoire ! Mais la greffe a bien pris, j’ai l’impression d’avoir toujours suivi un chemin, comme si la musique avait tout le temps fait partie de ma vie jusqu’à ce que je me retrouve à quatorze ans au Conservatoire de Paris. Tout s’est enchaîné simplement, comme quoi on peut-être musicien sans être enfant de musicien ! »

Suit à dix-neuf ans une belle et forte année au conservatoire Tchaïkovski de Moscou, au tout début de l’ère Gorbatchev : « Une très belle expérience, évidemment musicale parce que l’École russe était quelque chose de mythique et que l’art, dans un pays privé des libertés essentielles, était une ouverture sur le monde. Du coup, il y avait une soif, une urgence… Et une expérience humaine aussi parce que pour une gamine gâtée, se retrouver dans un univers un petit peu plus hostile pour les choses bassement matérielles, ça ne fait pas de mal ! C’était un voyage initiatique tout à fait formateur. Il n’y avait pas de téléphone portable, je n’avais pas d’ordinateur, le voyage avait un vrai sens : on partait avec une valise en train pour un an, c’était très compliqué d’appeler. J’étais une extra-terrestre pour la Russe avec qui je partageais mon logement, elle était une extra-terrestre pour moi… Je ne sais pas si maintenant on peut retrouver ce genre de sensations, le voyage n’a plus le même sens. »

Le secret de l’énergie de Claire Désert réside peut-être là : elle aime les gens. Ses partenaires, avec qui elle entretient des fidélités au long cours, comme le pianiste Emmanuel Strosser ou la violoncelliste Anne Gastinel – elles viennent d’enregistrer ensemble un troisième CD (Franck, Debussy, Poulenc) à paraître à l’automne. Comme ses élèves du conservatoire où elle enseigne le piano et la musique de chambre. « Je m’adresse à de jeunes professionnels qu’il n’est pas nécessaire de motiver pour travailler, ce qui est nettement plus facile et luxueux que de donner le goût de la musique à des petits gamins. J’ai beaucoup de respect pour mes collègues qui eux doivent susciter des vocations… Je me sens comme une accompagnatrice, parce que dans ce métier, tellement de choses nous échappent. C’est un moment charnière qui me touche beaucoup, chaque étudiant est un monde en soi, très fragile. Et puis, être à l’orée d’une carrière, voir la racine d’un talent qui va s’épanouir, c’est un tel cadeau ! »

Claire Désert au festival de l’Orangerie de Sceaux, c’est encore une fidélité, à une direction artistique, à un lieu décontracté et à un public chaleureux qui n’est pas là pour faire des mondanités. Et c’est aussi l’occasion de monter un programme avec des partenaires chambristes qu’elle a connu étudiants au Conservatoire. Ils ont vingt ans, vingt-cinq ans, du talent évidemment et des qualités communes qu’elle relève avec la simplicité rieuse et l’élégance rare d’une musicienne qui secrètement parle d’elle quand elle parle des autres : « L’interprète est un ouvrier très spécialisé qui a un message à délivrer : celui de l’œuvre et du compositeur. Nous sommes des passeurs, et lorsque cette mission est dévoyée, l’interprète rate l’essentiel. Les musiciens avec qui j’aime travailler sont ceux pour qui la musique doit être mise en avant. Avec beaucoup de sensibilité, de pudeur et d’écoute. C’est l’honnêteté du musicien, dans sa plus belle acception, qui m’intéresse. »

Quand on lui demande de dénoncer ses compositeurs de cœur, elle répond Bach – « une hygiène mentale, musicale, technique » – Beethoven, Brahms, Scriabine… Bruno Mantovani également, dont elle vient d’enregistrer des œuvres de musique de chambre avec le trio Wanderer – « une musique qui touche très directement, même un public pas forcément aguerri au répertoire contemporain, elle frappe, elle fait réagir. » Et puis Schumann, d’abord et toujours, dont on entrevoit combien elle peut entretenir avec lui d’affinités électives : « C’est un univers un peu secret, un monde qui ne se livre pas tout seul, il faut aller à lui, c’est l’instabilité, le vertige, avec une grande part de mystère. Un monde de ruptures aux confins de plein de choses, comme un état d’urgence avec des moments de grâce. »


Paru dans HDS.mag n° 18, juillet-août 2011.


  1. Carte blanche à Claire Désert, dimanche 17 juillet 2011 au festival de l’Orangerie de Sceaux. Avec Guillaume Chilemme (violon), Nathanaël Gouin (piano), Victor Julien-Laferrière (violoncelle) et Pierre Génisson (clarinette).