Cerises noires

Pecherot Plaie ouvertePatrick Pécherot est un écrivain de l’air du temps – pas forcément le nôtre, pas tout à fait un autre. Il déambule le nez en l’air, humant le parfum des choses qui ne sont plus mais qu’on devine encore, qu’on les espère, les regrette ou les redoute. Une plaie ouverte1 est une enquête mélancolique autour de la Commune de Paris, disparue dans les fumées d’un dernier idéal révolutionnaire, elle qui était née sur les décombres de la guerre de 1870. Tiens, soixante-dix, c’est aussi le nombre d’années d’existence de la Série Noire, il n’y a pas de coïncidence, dirait Marceau, le héros usé de ce roman moins noir que gris, comme l’oubli. 

Parce qu’on l’oublie, la Commune, comme on oublie la défaite qui l’a précédée. Celle-ci sans doute parce qu’une défaite, ce n’est pas glorieux dans le roman national, celle-là peut-être parce qu’une révolution, ce n’est pas convenable par les temps qui courent. Or, Pécherot, le convenable, il s’en fout, et le roman national n’est qu’un prétexte à dénicher les histoires minuscules passées à la trappe de la majuscule.

Les amateurs de polar pur jus s’étonneront du breuvage, ils s’y égareront – c’est un effet secondaire parfaitement assumé – comme on s’égarerait dans des potions opiacées. Mais ils y goûteront autre chose, le sel d’une histoire de revenants : les surgis de l’imaginaire et les anonymes passants ; ceux dont on se souvenait encore un peu, Jules Vallès, Louise Michel, Gustave Courbet ; ceux qu’on se surprend à croiser, Verlaine, Rimbaud ; ceux qu’on n’attendait pas ici, Calamity Jane, Buffalo Bill…

Une plaie ouverte n’est ni un hymne ni une déploration, il n’y a pas de barricades glorieuses, pas de pathos sanglant et aucune main n’est vraiment propre. C’est un récit spectral autour des premières photos et du premier cinéma, de l’exil et du Far West, du temps des cerises et des sanglots qu’on retient. C’est un roman construit sur les mirages d’une écriture inventive et singulière qui est aussi une voix, la voix généreuse et poétique de quelqu’un qui aime les gens, les connaît et les comprend.


  1. Série Noire Gallimard, 272 pages