Bernard Cavanna

Bernard Cavanna

Compositeur, directeur du conservatoire Edgar-Varèse de Gennevilliers, Bernard Cavanna est, ce qui ne gâche rien, l’homme le plus modeste et le plus chaleureux qui soit. Rencontre avec l’un des grands de la musique d’aujourd’hui autour de sa Gennevilliers Symphony donnée en concert par l’orchestre philharmonique de Radio-France1.

 

Comment devient-on compositeur, surtout lorsqu’on ne suit pas la voie royale du Conservatoire ?

J’ai eu la chance enfant, au début des années soixante, d’avoir un professeur de piano qui poussait ses élèves à trouver des petits airs à partir de deux ou trois accords plutôt que d’obligatoirement reproduire une partition. Elle était née en 1888, on ne pouvait pas la soupçonner d’être d’avant-garde ! Il n’y avait d’ailleurs pas vraiment de tradition de musique classique chez nous, on était plutôt Johnny Halliday, je connaissais toutes ses chansons par cœur dans les années soixante-dix… Mais môme déjà, j’écoutais aussi Schubert ou Mozart que ma mère jouait un peu au piano. Et j’aimais autant ça que Ray Charles : Georgia, c’est aussi beau que Schubert ! Alors il serait facile de répondre qu’il y a la bonne musique et celle qui ne l’est pas, mais je crois qu’il y a autre chose : elles n’ont pas le même propos. La musique décrit un “monde” avec peut-être plus de précision que le langage, elle peut dire la haine, ou la douleur du deuil bien mieux que les mots. La musique classique va sur des terrains où la variété, le rock ou le jazz ne vont pas s’aventurer. Ce sont plutôt des musiques de transe ou de séduction, alors que le classique serait de l’ordre du métaphysique, du “Qu’est-ce qu’on fait là ?”, qu’on soit ou non croyant d’ailleurs.

On entend beaucoup l’humain dans votre musique…

Sans doute parce que c’est ma réalité… La musique a beaucoup à voir avec le lien, on est tous des animaux de liens qui se tissent et qui se rompent, et cela fait partie de ce qui nous anime et qu’on a besoin d’exprimer. Je crois beaucoup à la musique comme un art de la communication.

Et à l’humour ? Vous sous-titrez votre symphonie : Cinq pièces pour orchestre prises dans les bons morceaux…

Il faut ne pas trop se prendre au sérieux, surtout dans la musique contemporaine… On représente la plupart des compositeurs, aujourd’hui comme hier, le crayon à la main comme si c’était le geste sacré… Alors qu’on peut composer dans les embouteillages du périphérique avec un dictaphone ! Et l’humour est une façon peut-être d’excuser la difficulté de notre musique.

Pourquoi une Gennevilliers Symphony ?

C’était au départ une commande de l’orchestre national des Pays de la Loire, un concerto pour orchestre, plutôt virtuose, plein d’énergie. Et au moment de lui donner un titre, j’ai eu envie de rendre hommage à cette ville que j’aime beaucoup. Parce qu’elle a de vraies ambitions : le passeport culturel pour les gamins de tous les quartiers, les cours au conservatoire pour les tout petits pour lesquels on a engagé des profs. Et parce que c’est aussi une ville où il y a de vrais enjeux. Je les vois tous les jours ces mômes qui sont tout autant français que moi et à qui l’on ressasse sans cesse le mot intégration… C’est fatigant. Bien sûr qu’il y a aussi de vrais problèmes, mais j’ai l’impression qu’on est ici sur une bonne voie : notre orchestre de jeunes par exemple est très “mélangé”. La France a changé et c’est aussi ça, Gennevilliers Symphony : voilà ce qui se passe en banlieue, ce n’est pas seulement le deal et les bagnoles brûlées, il y a vraiment un travail de fond. D’ailleurs, certains de nos jeunes élèves vont jouer, aux côtés des professionnels de Radio-France : ils se retrouvent avec un chef très exigeant avec les adultes et cela leur apprend énormément de choses.


Publié en janvier 2011 sur le site Vallée Culture


  1. Sous la direction de François-Xavier Roth, Gennevilliers, samedi 22 janvier 2011. Programme : Gennevilliers Symphony de Bernard Cavanna ; New York Contrepoint et City Life de Steve Reich ; Les Fonderies d’Acier d’Alexander Mossolov